Serions-nous d’incurables pisse-vinaigre ? Si, de temps à autre, une émission débile venait à passer à l’écran, nous pourrions faire comme si de rien n’était. Mais voilà, la panade fade, infantilisante, mercantile et foncièrement conservatrice est en train d’envahir l’espace médiatique. Avec un cynisme de plus en plus violent, comme en témoigne « Le maillon faible ». L’équilibre est rompu entre les différentes missions des médias : informer, éduquer et distraire. Pourtant, nous croyons possible de concevoir des médias autrement intelligents. Sans pour autant verser dans un intellectualisme hermétique et assommant. A nos yeux d’enseignants et de parents, l’enjeu est de taille, quand on sait le temps que passent devant la télé nos chères têtes blondes … Pouvons-nous, en effet, accepter comme un fait accompli la médiocrité des programmes télé et en même temps nous plaindre de la médiocrité de leur culture ? Essayons d’ébaucher les médias dont nous rêvons … et que nous croyons possibles.
Commençons par le domaine du divertissement, bien légitime somme toute après de lourdes journées de labeur. Au « Maillon faible » et autre « Qui sera millionnaire ? », nous opposerons des jeux dont le principe, le contenu et l’animation respectent la dignité humaine et invitent à s’instruire, le tout dans une agréable ambiance de fair-play bon enfant.
Du divertissement et des jeux, oui.
De l’abrutissement, non
Par exemple, même si les contenus en sont souvent conventionnels, « Forts en tête »(RTBF), lui-même successeur du non moins célèbre « Double Sept », alterne de courts reportages, des questions de connaissance et des épreuves sur un thème donné (une ville, un métier …). On peut aussi évoquer un jeu comme « Pyramide »(FR2), basé sur le vocabulaire et faisant appel à une intelligence analogique. Ce ne sont que des exemples, il serait possible d’en citer d’autres, et les chaînes de télévision seraient bien inspirées de creuser ce filon.
Les goûts et les couleurs … ça se discute et ça se travaille
Au rouleau compresseur uniformisant d’une culture « Disney », « Star Académy » et Cie, nous opposerons la diversité, l’inventivité et la sensibilité sociale. Il faut ici faire une mise au point primordiale : les goûts, les capacités intellectuelles et l’intérêt que nous pouvons porter à différentes cultures ne sont jamais définitivement figés. Ils peuvent évoluer. Si les médias commerciaux sont parvenus petit à petit à nous habituer à des contenus de plus en plus anecdotiques, sécuritaires, sensationnalistes et vulgaires, il doit être possible de prendre le chemin inverse. Les salles de cinéma « Art et Essai », en France comme en Belgique (Les Grignoux de Liège, avec les salles du Parc et du Churchill), le prouvent sans équivoque : elles parviennent à éveiller et à véritablement éduquer un public de plus en plus large à des films sortant de l’ordinaire et issus des cultures du monde entier. Des productions qui se distinguent par leur authenticité, leur créativité, leur poésie, leur subversion et leur sens de la dignité humaine, de la justice, de la conscience sociale … En effet, la familiarité qui s’installe progressivement avec des films, des livres, des émissions plus variés et riches en contenu relève d’une sorte d’entraînement mental et procure de telles satisfactions que, l’un stimulant l’autre, l’appétit de découvertes ne cesse de croître. Les neurosciences nous le confirment : le goût et l’intelligence, ça se travaille, c’est autant affaire d’ouverture d’esprit, de curiosité, de rencontres et de travail que de dons innés.
Osons donc sortir des sentiers battus de la culture hollywoodienne ! Soyons curieux ! Et découvrons les plaisirs bien plus subtils et chaleureux de films intelligents et sensibles sans être pour autant rébarbatifs et hermétiques. Quelques exemples ? Les comédies réalistes italiennes, les films – plus récents – de Nanni Moretti (Aprile), en France, ceux de Guédiguian (Marius et Jeannette), de Tavernier, de Chabrol, au Royaume-Uni, ceux de Ken Loach, ou d’autres comédies sociales comme « Full Monty » et « Les virtuoses », pensons aussi aux films que nous a laissés un Chaplin. Sans oublier le travail de nos compatriotes les frères Dardenne avec « La promesse » et « Rosetta ». Et puis il y a tous ces films qui nous viennent des quatre coins du monde et que des salles alternatives nous permettent de découvrir.
Pour revenir à la télévision, épinglons ces émissions de vulgarisation à la fois instructives, rigoureuses sur le plan scientifique et d’une bonne humeur communicative : « C’est pas sorcier »(FR3, RTBF), « Pulsations »(RTBF) ou « Le journal de la santé »(FR5).
Des débats vraiment contradictoires
Un autre domaine, celui du débat, mériterait une véritable « révolution ». Aujourd’hui, le paysage audio-visuel francophone ne nous offre aucun débat digne de ce nom. Soit vous avez le débat « pugilat », façon Dechavanne ou « Lieu public »(RTBF). Soit le débat aseptisé, entre une droite et une « gauche » molle acquise au libéralisme. Soit le « faux » débat, façon Delarue et Mireille Dumas en France, ou Thomas Van Hamme en Belgique : l’animateur, grand prêtre, questionnant des témoins placés en éventail autour de lui, il n’y a presque pas d’échanges ni de débat entre les participants. Dernière forme de faux débat, Ardisson et Fogiel, chez qui invités et sujets abordés n’ont qu’un intérêt très secondaire, la vedette étant l’animateur lui-même.
A ce genre de débats, nous opposerons des débats réellement contradictoires. Où les responsables économiques et politiques seraient confrontés à ceux qui ont « quelques questions à leur poser » : des citoyens de base, des militants de terrain, des intellectuels dignes de ce nom ou des représentants d’associations altermondialistes, par exemple. Pour rendre possibles de tels débats, les citoyens – modestes amateurs devant affronter les professionnels des médias que sont les politiciens et les grands chefs d’entreprises – devraient bénéficier d’une sorte de discrimination positive de la part de l’animateur, aussi bien dans la préparation de l’émission que dans son déroulement. Ils devraient être placés dans les conditions leur permettant de développer en toute clarté leurs questions et leur argumentation.
Question audience, l’obsession des managers des chaînes de télé, pas de souci à se faire. Qu’ils se souviennent qu’une émission comme l' »Ecran témoin »(RTBF) n’a jamais eu autant de retentissement que quand elle était réellement polémique (les années André François, qui a poursuivi sa carrière à « Strip-tease »).
De l’info pour comprendre le monde
A des informations dominées par la paranoïa sécuritaire, le sensationnel, le sport – où le journalisme d’investigation est aux abonnés absents, mais ce domaine pourrait faire l’objet d’un article à lui seul – et les échos people, nous opposerons un projet de presse démocratique, visant à donner à tous les citoyens les éléments permettant de comprendre le monde et de participer aux décisions qui les concernent. Une information claire, complète, ne se limitant pas au récit des événements, mais en expliquant le contexte historique, géopolitique, économique et social, une information visant à cerner la vérité par l’exercice d’un esprit critique permanent. Mais là, comme pour notre appétit de débats vraiment contradictoires, il est fort à parier que les pouvoirs en place – essentiellement économiques – ne toléreraient pas des émissions les remettant en cause …
Médias et société
Comme il nous semble évident qu’une école démocratique n’est guère possible dans une société qui ne l’est pas, nous pensons que des médias démocratiques ne seraient possibles et pleinement porteurs que dans une société réellement démocratique. Une société libérée des pseudo-lois du marché. Une société du « bien commun », bâtie non sur la défense des privilèges de quelques-uns, mais sur la satisfaction des besoins légitimes de tous. Ce qui ne signifie pas qu’il faille renoncer à investir les quelques espaces d’expression démocratique que nous laissent les médias actuels, ou à créer, à l’instar d’Indymedia, des espaces à la mesure de nos rêves.