Quelle réponse le pacte offre-t-il aux inégalités sociales ?

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Le « Pacte pour un Enseignement d’Excellence » est plus que jamais au centre des débats sur l’école en cette rentrée scolaire et politique. Tantôt plébiscité, tantôt décrié, ce pacte a toutefois eu un mérite indéniable : lever le tabou sur les inégalités. Il est en effet à présent reconnu de tous que notre système scolaire est un des plus inégalitaires d’Europe. En d’autres mots, tous reconnaissent que les acquis scolaires des élèves belges, tant francophones que flamands, sont très dépendants de leur origine sociale. Or, dans d’autres pays, ce lien peut être jusqu’à deux fois moins fort. Alors, comment peut-on expliquer ces différences ? Les mesures envisagées par le Pacte pourront-elles avoir un impact positif pour une plus grande équité de notre système éducatif ?

Le constat établi, il faut, pour combattre ces inégalités, tout d’abord identifier les facteurs pouvant les générer. Une analyse statistique de l’Aped1 a ainsi permis de pointer une série de mécanismes générateurs de ségrégation. Le but de cet article est donc de les relever et de voir quelle réponse offre, ou n’offre pas, le Pacte.

Un quasi-marché scolaire

Le système scolaire belge est tout d’abord caractérisé par une liberté d’organisation pour les pouvoirs organisateurs et par une liberté de choix d’école pour les parents. Ce système engendre une concurrence entre réseaux et établissements qui sont, en outre, financés en fonction du nombre d’enfants inscrits. Dans un tel contexte, les familles privilégiées sur les plans culturel et socioéconomique profitent aisément de cette liberté et inscrivent leurs enfants dans les « bonnes écoles », creusant un plus large fossé entre « ghettos de riches » et « ghettos de pauvres ».

Cette polarisation se retrouve entre les réseaux. En effet, les données PISA 2015 démontrent que 63% des enfants de 15 ans issus du quartile socio-économique inférieur (les 25% les plus pauvres) sont inscrits dans l’enseignement public alors que 63% des enfants de 15 ans issus du quartile socio-économique supérieur (les 25% les plus riches) sont, quant à eux, inscrits dans l’enseignement libre. Ce quasi-marché scolaire explique, à lui seul, 34% des différences d’équité scolaire entre pays européens. Il est donc un facteur important du creusement de l’inégalité sociale dans l’enseignement.

La solution serait donc d’y mettre fin. Comment ? En fusionnant les réseaux en un réseau unique publique et en régulant les inscriptions car, malheureusement, il ne suffit pas de décréter la mixité sociale des écoles pour que celle-ci se réalise.

Or, le Pacte d’excellence, dans sa version actuelle, ne touche ni aux réseaux (sujet encore tabou en Belgique) ni aux mécanismes d’inscription des écoles. Plus encore, les derniers remous politiques ont fait émerger un désir de suppression pure et simple du décret inscription. Ce dernier a toutefois le mérite d’exister et devrait aller plus loin dans la régulation des inscriptions car, pour l’instant, il a « essentiellement servi à résoudre un problème d’engorgement en début de secondaire et à empêcher certaines pratiques injustes ».2

Une filiarisation très hiérarchisée

Le système scolaire belge est caractérisé par une division précoce des élèves en filières hiérarchisées. En effet, dès la première secondaire, les élèves sont « orientés » dans des filières très distinctes. Cette orientation en cascade n’est que très rarement volontaire puisqu’une majorité des élèves subissent une exclusion du général pour « descendre », dit-on, dans en technique ou en professionnel. Or de nombreuses études ont démontré qu’un tronc commun de longue durée est statistiquement associé à une plus grande égalité des performances par origine sociale.

Une solution « simple » serait donc d’instaurer un vrai tronc commun depuis la 3ème maternelle jusqu’à 15, voire 16 ans. Sur ce point, nous devrions être comblés puisque le Pacte prévoit effectivement un tronc commun jusque 15 ans. Mais nous pensons que celui-ci ne pourra « fonctionner » qu’à deux conditions qui ne sont pas rencontrées dans ce Pacte : un vrai financement pour un encadrement de qualité (15 élèves par classe dans les premières années du primaire et 20 ensuite) et une séparation physique des établissements scolaires organisant le tronc commun. En effet, une sélection précoce risque de subsister selon que l’élève sera inscrit dans une école préparant à l’enseignement général ou à l’enseignement qualifiant.

Aucune réforme structurelle

Le quasi-marché scolaire et la filiarisation précoce ont un impact prépondérant dans le mécanisme des inégalités scolaires Il est donc vain de vouloir améliorer sensiblement l’équité de notre système éducatif sans s’attaquer simultanément à ces deux facteurs. Or le Pacte, sous l’influence de McKinsey, ne prévoit aucune réforme structurelle3 et prône essentiellement des réformes de gouvernance mettant en avant une plus grande autonomie et une responsabilisation accrue des acteurs de l’enseignement. Selon ce cabinet d’expertise, notre enseignement est suffisamment financé et, pour rendre notre système éducatif « efficient », il faut « faire mieux avec le même budget ».

Il n’est donc aucunement question, dans le Pacte, de refinancement de l’enseignement. Or, toutes les bonnes « intentions » ne pourront se concrétiser avec un financement global inchangé. Ainsi, les promesses d’engagement de 1100 agents dans le maternel et le primaire (ce qui ne fait même pas un agent par école) auront inévitablement un impact budgétaire sur d’autres postes.

Dès lors, comment l’école pourra-t-elle faire diminuer le taux de redoublement sans un investissement réel dans la remédiation ou dans l’encadrement des élèves ?

Nous appelons donc tous les acteurs du Pacte à « revoir leur copie » pour y intégrer : la fusion des réseaux, une politique d’inscription scolaire instaurant une vraie mixité sociale, la création d’un vrai tronc commun autonome des établissements du secondaire supérieur et un refinancement réel de l’enseignement. C’est à ce prix-là que le Pacte s’attaquera véritablement aux inégalités !

1 Cette étude statistique réalisée par Nico Hirt à partir de la base de données PISA 2015 est consultable ici.

2 Pour un nouveau décret inscription

3 Gorré C., McKinsey phagocyte le Pacte pour un enseignement d’excellence, février 2017.