Afrique : à quoi sert l’école ?

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Les enseignements donnés aux apprenantes et apprenants mineures/mineurs dans une société, communément appelée éducation, peuvent-ils être résumés aux cours reçus dans une institution scolaire? Autrement dit, apprend-t-on seulement par l’école ? Paul Aholi ne répond pas à ces questions. Il introduit plutôt des réflexions particulières sur l’organisation de l’éducation et particulièrement des langues enseignées dans les sociétés africaines post coloniales. Paul Aholi est un enseignant, agrégé de pédiatrie, il n’est pas spécialiste en éducation ni en pédagogie.

Le titre de son petit essai interpelle les lectrices/lecteurs, mais de la même ampleur que le livre de l’intellectuel Sénégalais, Cheik Hamadou Kane, L’aventure ambigüe, écrit en 1961, ni celui de Saïdou Pierre Ouattra, La culture de l’amabilité. Comment penser autrement l’éducation en Afrique?, publié en 2010.

Cinquante ans après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine, comme beaucoup d’autres pays africains, la scolarisation, le rôle de l’école dans la formation des jeunes générations et la construction d’une nouvelle société soulèvent des questions pertinentes pour beaucoup de responsables politiques et des mouvements de la société civile.

L’auteur se pose plusieurs questions, qui servent de fil conducteur à sa réflexion. Partant des réflexions générales, il termine au cas particulier de l’école pour les Ivoiriennes/Ivoiriens. Pour se faire il part de la définition du concept de l’école, qui serait un ensemble d’éléments : un lieu (appelé établissement scolaire), l’administration de l’enseignement (le ministère de l’éducation), des partenaires (personnel enseignant, direction d’école, parents d’élèves et syndicat d’enseignantes/enseignants) et les apprenantes/apprenants, qu’il appelle «les actionnaires.» Suivant cet auteur, l’école serait un lieu investi par différents acteurs ayant des statuts opposés, mais où une interaction s’établit entre eux.

Après le concept, il s’attache au fondement de l’école. Il retient trois sortes d’invention humaine dont l’école s’est appropriées et que les enfants vont acquérir au cours de leur scolarisation. C’est d’abord la découverte de la sélection des signes pour l’apprentissage du langage humain, ensuite ce sont l’écriture et la lecture et enfin l’imprimerie. Avec ces trois inventions, il y a acquisition de ce qu’il appelle la «compétence intellectuelle.» Selon lui, cette école va créer une nouvelle société artificielle moderne dont le personnage central est l’expert (c’est celui qui s’est documenté le plus qui connaît. Il est l’expert, p.15) d’où la valorisation de l’expertocratie et de la méritocratie (p.15) à côté de la société humaine naturelle traditionnelle, qui est l’œuvre de Dieu dont le vieillard occupe une place importante (il sait plus de choses, car il a vécu plus longtemps, pp.14-15) d’où le poids de la gérontocratie dans les sociétés humaines (p.15). Il y a donc juxtaposition entre deux types de sociétés : la société moderne, qui s’est approprié des techniques et la société traditionnelle. Ce qui l’amène à l’opposition entre oralité et écriture. Pour lui, les deux sont des techniques de communication, toutes deux sont intellectuelles ; une serait naturelle tandis que l’autre artificielle, puisqu’elle résulte de l’action de l’homme. L’écriture serait une source de l’abstraction et du virtuel tandis que l’oralité fait appel à l’imagination et au rêve.
Il arrive à une question centrale, la comparaison de l’école dans l’existence de tout individu (p.15). Autrement dit, que pourrait être ou devrait être l’école ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’auteur voit l’école d’une part comme un fleuve et d’autre part comme l’utérus enceinte d’une mère. En fait au-delà du mot fleuve, c’est la maîtrise des savoirs et savoirs-faire dont l’apprentissage passe par l’école, lieu d’apprentissage de ce qu’il appelle «codage» et «décodage», qui permet à l’être humain de vivre dans une société moderne.

Mais l’institution scolaire n’est pas le seul lieu d’apprentissage. Quant à l’utérus de la mère, il fait un parallélisme un peu forcé entre les «sécrétions dans l’organisme du fœtus fécondé» et la transmission par les enseignantes/enseignants des savoir-faire, savoir-être et savoir-vivre, qui conduisent à «un changement de nature de cet organe humain, p17.» En fait, schématiquement l’école constituerait un prolongement de la maternité.

Après ces questionnements et parallélisme avec un organe féminin, sans entrer en détail, il analyse les «bienfaits induits par une scolarisation réussie», qui conduiraient certains actes pour ne citer que quelques-uns : tuer «l’oubli», le doublage de la mémoire de la personne. En fait il y a coexistence d’une mémoire naturelle et d’une mémoire artificielle; la première est innée et la seconde s’acquiert par l’instruction reçue et par des supports écrits. Pour lui, une telle scolarisation donnerait le qualificatif «d’intellectuelles-intellectuels.» aux apprenantes/apprentis. C’est aussi le doublage du «raisonnement humain.», d’un côté l’affirmation par la constatation et la conclusion et de l’autre par l’interrogation où entrent en ligne la constatation, la thèse, l’antithèse, l’argumentation, synthèse et conclusion.

A la question «à quoi sert l’école aux Ivoiriens» (p. 35) ?, il répond négativement «sans se tromper… l’école ne sert à rien aux Ivoiriens» (p.35). Comme causes ou raisons, il relève plusieurs points. La langue officielle de l’école, le français, qui est préférée aux langues vernaculaires des Ivoiriens serait la première cause. L’inachèvement de l’alphabétisation à cause de l’usage du français en serait la deuxième. Cette situation a placé l’intellectuel Ivoirien dans une ambivalence ; matériellement il vit dans une société moderne mais mentalement (l’auteur utilise le mot tête) il est dans les traditions de son peuple. Il évoque l’échec de l’école en établissant une relation entre la production des chômeurs et des malades mentaux dans les milieux urbain et rural. L’échec d’une scolarisation réussie conduit au non-respect de ce appelle qualités intellectuelles comme «l’hygiène du milieu», «la rigueur», «la régularité», «la compétence», «l’efficacité au travail»… C’est plutôt le contraire qu’on assiste dans les habitudes sociales de la société ivoirienne. Il y a donc un échec de la transmission d’une nouvelle culture, on assiste plutôt à un «mime d’une nouvelle culture». En dernier lieu il évoque non pas comme cause, la mutation qui serait le résultat d’une scolarisation réussie. La mutation, c’est le «changement de nature». Mais quelle nature?

L’auteur donne une liste des causes de la faillite de l’école pour la société ivoirienne post coloniale en mettant l’accent sur un aspect important la langue. Certes la langue d’enseignement doit être en consonnance avec la langue ou les langues les plus parlées dans le pays, ce qui favorise la communication et les relations entre les différents partenaires du monde de l’enseignement. Dans une ex colonie, la philosophie et l’organisation tout comme la langue des enseignements est imposée par un pouvoir extérieur à la communauté à laquelle elle a un impact. Aussi ceux-ci ont lieu dans des établissements scolaires, qui répondent à des normes bien déterminées par un pouvoir colonial, les langues des peuples colonisés ne pouvaient entrer en compétition avec celle des colons ; elles donc ont été dévalorisées et marginalisées par les autorités coloniales. La langue n’est qu’une partie d’un ensemble d’éléments qu’il faut prendre en considération dans un système scolaire. Ce qu’enseigne l’école doit refléter non une réalité, mais des réalités de la société, parce que la société n’est statique ; elle évolue.

Or depuis l’indépendance, il n’y a pas eu des initiatives pour une revalorisation de celles-ci par les autorités du nouvel Etat ni parfois des demandes des actrices et acteurs de la société civile. Par ailleurs, il ne démontre pas par des exemples tirés d’autres situations similaires comment l’enseignement des langues vernaculaires pourrait produire une meilleure scolarisation des membres de la société.

Paul Aholi, À quoi sert l’école? Abidjan, Edilis, 2013, ISBN : 978-2-8091-0060-0, 49 P