Après-Charlie : un premier bilan alarmant

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L’émotion qui a tout balayé sur son passage en ce mois de janvier est retombée. L’heure est désormais à un premier bilan. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas folichon, ce bilan.

Les attentats de Paris (et les événements qui y sont apparentés en Belgique, la tuerie au musée juif de Bruxelles, l’opération antiterroriste de Verviers…) constituent incontestablement un tournant historique. Ce tournant, les autorités politiques, soutenues par des médias qu’on aurait aimé voir moins unanimes, ont choisi de le négocier d’une manière totalement irresponsable.

Ainsi, ils ont choisi de surfer sur un émoi populaire aux contours on ne peut plus flous (le slogan “Je suis Charlie” pouvant tout aussi bien exprimer le soutien à une presse irrévérencieuse qu’une profonde xénophobie). Ils ont aussi choisi le discours moralisateur de la démocratie formelle, répétant ad nauseam les valeurs qu’ils s’ingénient en temps normal à vider de leur substance : laïcité, république, tolérance, respect, liberté d’expression, vivre ensemble… Ils ont choisi, surtout, la voie du durcissement sécuritaire, de l’usage de la force, limitant d’autant les libertés publiques… sans pour autant pouvoir garantir réellement la sécurité des citoyens. Pire : ces stratégies alimenteront les brasiers de demain.

D’autres voies étaient pourtant possibles. Faire appel à la raison, cerner les multiples et complexes causes et cheminements qui mènent à de tels meurtres (qui sont autant de suicides). Les frustrations qui les alimentent. Mais ça, ils se garderont bien de le faire. Car ce serait reconnaître l’accablante responsabilité des gouvernements occidentaux et des marchés qu’ils servent aveuglément. Peut-on raisonnablement croire que le passé colonial, la longue et douloureuse histoire des relations franco-algériennes par exemple, les nombreuses interventions militaires occidentales dans la sphère arabo-musulmane, le soutien à la colonisation sioniste, ou encore l’abandon des mouvements laïcs dans cette partie du monde n’ont rien à voir avec le repli identitaire et l’exacerbation de la violence ? Peut-on raisonnablement croire que les inégalités socioéconomiques, la ségrégation, le racisme ou la xénophobie qui frappent depuis des décennies, au cœur même de nos « démocraties » occidentales, les enfants issus de l’immigration, n’y sont pour rien non plus ?

Il n’y a dès lors rien d’étonnant à voir les autorités se tourner vers l’Ecole. Non pas, vous pensez bien, pour faire de tous les jeunes des citoyens à part entière, capables de comprendre le monde et prêts à agir collectivement pour le changer. Mais pour leur inculquer les valeurs civiques, le respect d’un système pourtant fondé sur la prédation et la reproduction des inégalités.

Progressistes, nous ne tomberons pas dans un panneau aussi grossier. Nous continuerons de revendiquer une école des savoirs citoyens critiques (l’enquête « énergies et réchauffement climatique » que nous lançons va dans ce sens), une école de la socialisation, certes, mais aussi une société réellement libre, égalitaire et fraternelle. Les pouvoirs en place ne nous en feront pas cadeau. A rebours du « choc des civilisations » et des politiques d’austérité, nous continuerons d’en appeler à « Tout Autre Chose » !