Le pacte d’excellence : un écran de fumée ?

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Alors que la première phase du Pacte d’Excellence vient d’être lancée, la réforme de l’enseignement qualifiant avance à grands pas. Madame Milquet, qui clame à cor et à cris que les conditions de réussite du Pacte passeront par une démarche participative menée avec les acteurs de terrain, une démarche de confiance menée pour et autour des acteurs de l’enseignement, semble respecter un tout autre « pacte » : celui de sa déclaration de politique communautaire !

En effet, ce 26 février, les gouvernements wallons, bruxellois, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Cocof se sont réunis afin de valider des décisions importantes quant à l’avenir de l’enseignement qualifiant. Mais où est la concertation avec les acteurs de terrain ? Cette première phase, lancée à grands renforts de publicité n’aurait-elle comme but que de permettre à Madame Milquet d’avancer cachée ?

Des procédures spécifiques selon les priorités de la DPC

Ne soyons pas surpris car le Pacte l’annonçait explicitement : « Les propositions de réformes et d’actions déjà définies dans la Déclaration de politique communautaire en matière d’enseignement entrent parfaitement dans les objectifs du Pacte et doivent en faire partie intégrante par souci de cohérence. Comme elles sont déjà précisées dans un accord de gouvernement elles ont à ce titre un statut différent »[1]. Leur statut est tellement différent que « Le Gouvernement pourra donc adopter, sans attendre la conclusion du Pacte, des notes et des projets de décret visant à implémenter les différentes mesures de la Déclaration de politique communautaire […] »[2].

Les choses sont donc claires : les actions définies dans la DPC sont prioritaires, elles font partie du Pacte, mais pas vraiment, puisqu’elles ne sont pas vraiment soumises à la concertation. En d’autres termes, je vous demande votre avis, mais je fais quand même comme je veux puisque cela faisait partie de ma Déclaration de Politique Communautaire. De quoi allons-nous discuter alors, Madame Milquet, lors des innombrables rencontres, débats, conférences, symposiums, groupes de travail, discussions en ligne annoncés dans la Phase 1 du Pacte ?

Une formation tout au long de la vie

Les mesures déposées en concertation par les quatre ministres compétents, Joëlle Milquet, ministre de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, Eliane Tillieux, ministre de l’Emploi et de la Formation de la Région wallonne, Didier Gosuin, ministre de l’Emploi, de l’Economie et de la Formation professionnelle de la région Bruxelles-capitale et Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale de la Fédération Wallonie-Bruxelles, vont dans le même sens : une synergie renforcée entre les organismes de formation et les entreprises privées au service d’une formation tout au long de la vie (leitmotiv européen par excellence).

Les bassins de vie

Le territoire wallon a été divisé en 10 bassins de vie enseignement qualifiant-formation-emploi favorisant les collaborations entre l’ensemble des acteurs pour mieux ajuster l’offre de l’enseignement qualifiant et de formation professionnelle aux besoins du terrain. Ces bassins, entités jugées moins rigides que les Provinces, ont donc pour objectif de faire coïncider les offres de formations (enseignement de plein exercice, Cefa, forem, Ifapme,…) avec les besoins socio-économiques de chaque bassin. Cette seule mesure permettra donc aux entreprises locales de former une main-d’œuvre « clé sur porte » et de piloter les formations et les programmes. Par la même occasion, des formations jugées obsolètes ou ne correspondant pas aux besoins du bassin de vie pourront simplement être supprimées. Faudra-t-il, dorénavant, déménager si on veut être infographiste et que cette formation a été supprimée de l’offre du bassin de vie où on habite car elle ne correspondait pas aux besoins socio-économiques dudit bassin ? Cela semble tout simplement absurde et totalement contradictoire par rapport à la demande de mobilité européenne puisque le travailleur risque d’être cantonné dans son bassin de vie.

L’harmonisation des statuts et contrats d’apprenant

Ce point était également annoncé dans la DPC. La mesure est claire et répond à un objectif précis : la transformation « progressive » du degré professionnel en un enseignement en alternance. Ainsi, pour atteindre cet objectif, il fallait tout d’abord harmoniser les statuts, ce qui sera fait grâce à la mise en place de l’Office francophone de la formation en alternance (Offa). Cette structure de gestion établira un statut unique du jeune en alternance, mettra en place un contrat d’alternance commun à tous les opérateurs et veillera à renforcer les partenariats entre chaque bassin et les fonds sectoriels des entreprises. La logique est la même : par la généralisation des stages en entreprise, la formation initiale sera davantage en lien avec les besoins du monde du travail.

Cette mesure concerne, pour l’instant, les élèves des Cefa, de l’Ifapme et du Sfpme, mais pourrait et sera, comme annoncé dans la DPC, généralisée à tout élève fréquentant le qualifiant. L’entreprise, une fois de plus, pilotera la formation qualifiante.

Trois fois plus de profils métiers

Le Service Francophone des métiers et des qualifications (SFMQ) a pour mission d’élaborer les profils de métiers traduisant une certaine réalité économique (référentiel commun pour l’entreprise, l’apprenant, l’opérateur de formation, …). Leurs productions seront triplées chaque année : 30 nouveaux profils prévus en 2015, 35 en 2016 et 40 en 2017 pour atteindre 150 profils en 2017 contre 15 par an actuellement.

Ces profils sont annonciateurs de la généralisation de la certification par unités (CPU), actuellement en application dans 4 sections (esthétique, coiffure, mécanicien d’entretien automobile et mécanicien polyvalent automobile). La formation est harmonisée, divisée en unités, ce qui permet à l’apprenant de faire valider ces différentes unités dans n’importe quel organisme de formation. Ainsi, déclare Joëlle Milquet, « Si un jeune qui a fait quatre modules de formation en électricité devient demandeur d’emploi, il pourra reprendre sa formation là où il l’a arrêtée auprès d’un autre opérateur ».[3]

Ce mécanisme met, une fois de plus, en avant la formation tout au long de la vie. Chaque apprenant sera responsable de sa formation et responsable également du fait qu’il ne trouve pas de travail car c’est à lui de gérer son capital humain.

La Certification

Toujours dans la même logique, les opérateurs de formation (enseignement obligatoire, Ifapme, Sfpme, Forem,…) mettront en œuvre les UAA (Unités d’Acquis d’Apprentissage) inscrits dans les profils de formation du SFMQ afin d’harmoniser le parcours de formation tant aux niveaux régional, communautaire, fédéral qu’européen. Ce cadre francophone des certifications (CFC) pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (encore elle !) individualisera complètement la formation et accentuera encore la compétitivité des travailleurs sur le marché de l’emploi.

De nouvelles conventions sectorielles

Depuis fin 2014, de nombreuses rencontres ont eu lieu entre chacun des Ministres de l’Éducation, de la Formation et de l’Emploi et les différentes fédérations sectorielles dans le but de renforcer les synergies enseignement – entreprises. Ainsi, ce 6 février, des conventions ont été signées avec les représentants du secteur de la coiffure afin « d’améliorer encore la qualité des formations proposées dans l’enseignement qualifiant, en les rapprochant au maximum des processus techniques et organisationnels des entreprises dans lesquelles ces élèves seront amenés à travailler à la fin de leur parcours scolaire ».[4] Ce n’est qu’un premier pas car des accords de ce genre sont annoncés avec les secteurs de l’agro-alimentaire, du bois, de la chimie et pharma et de l’esthétique.

Ces différentes conventions permettront de généraliser les stages en entreprises et par là même la formation en alternance, la formation des enseignants en entreprise,…

Une voie royale est dès lors tracée pour le monde de l’entreprise qui rêvait depuis longtemps de piloter l’enseignement et de façonner la main d’œuvre dont il a besoin. L’état, quant à lui, peut ainsi se décharger d’une mission qu’il pourra progressivement déléguer au secteur privé.

 

[1] Pacte pour un Enseignement d’Excellence, p.43.

[2] Ibidem

[3] La Libre Belgique, jeudi 26 février 2015, p.10.

[4] http://www.joellemilquet.be/2015/02/enseignement-qualifiant-une-nouvelle-etape-pour-des-actions-concretes-de-collaboration-entre-les-ecoles-les-eleves-et-les-entreprises/