L’Université de la doxa néolibérale

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Georges Corm, Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs, La Découverte, 2010, 299 p.

Nombreux sont les essais qui décortiquent et analysent l’involution politique qui, depuis trente ans, a frappé l’Occident, avant de s’étendre au reste du monde. Celui-ci est dû à un économiste et historien qui a par ailleurs fréquenté de l’intérieur certains organismes internationaux. Il témoigne ainsi de ce qu’il a personnellement vu et entendu en côtoyant de nombreux oligarques. Qu’apporte-t-il donc de plus ou d’autre par rapport à ses pairs contempteurs du néolibéralisme ? Par exemple, la dénonciation de l’usage intensif de l’outil mathématique dans l’économie qui « a voilé la nature de dogme religieux des croyances relatives aux bienfaits de la mondialisation » (p. 82). Le chapitre sur l’enseignement universitaire est éclairant. Corm montre comment celui-ci a servi – et continue à servir – à la reproduction d’une bureaucratie des affaires mondialisée. La création d’un prix Nobel d’économie en 1968 et son attribution presque exclusive à des hérauts du libre-échange et de l’économétrie (hormis Joseph Stiglitz et Amartya Sen) n’est pas un hasard. Ces matières sont enseignées dans les hautes écoles de commerce, de finances et de gestion des affaires, qui se sont multipliées depuis trente ans à partir des États-Unis. L’Europe lui a prestement emboîté le pas. Ainsi, en France, entre 1985 et 2005, on est passé de 7.325 à plus de 26.000 diplômés ! L’histoire de la pensée économique, qui avait jusqu’alors garanti aux étudiants une appréhension pluraliste et humaine du phénomène économique, est négligée, quand elle n’est pas purement abandonnée. La nécessité pour les enseignants de publier sans cesse dans les revues académiques et la multiplication des doctorats en économie sont les deux outils de l’expansion de la doxa de l’économie de Marché outre-Atlantique. Le comble est que la crise de 2008 ne semble même pas avoir tari les inscriptions des étudiants dans les business schools et autres Masters of Business Administration… Où l’on voit à quel point la reconquête de l’enseignement supérieur par les progressistes et les autres opposants idéologiques au système est une des conditions pour battre en brèche la religion libre-échangiste.

Bernard Legros