Vers l’après-capitalisme

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Geneviève Azam, Le temps du monde fini. Vers l’après-capitalisme, Les Liens qui libèrent, 2010.

Reprenant le célèbre avertissement de Paul Valéry, Geneviève Azam, économiste et co-présidente du conseil scientifique d’Attac, se lance dans une très convaincante analyse des dérèglements du monde dus à un système capitaliste qu’il faut dépasser, si l’humanité veut se donner une chance de survie au-delà de ce siècle. L’auteure ajoute à l’arsenal idéologique habituel de la gauche la dimension écologique, qui est toujours inexplicablement absente dans certains cercles de la gauche de gauche. Sans se désigner comme telle, elle rejoint les objecteurs de croissance sur plusieurs points : la prise en compte de la finitude du monde « malgré l’illusion économiste », la nécessité de l’autolimitation, le constat que les forces productives, admirées par Marx en son temps, sont devenues aujourd’hui des forces destructives, et même la funeste perspective d’un effondrement de la civilisation. Son concept le plus original est celui de « modernité-arrachement ». « L’échec de la modernité occidentale n’est pas seulement celui du capitalisme. Il est également celui des projets révolutionnaires et des utopies modernes, qui ont confondu la liberté et l’autonomie avec l’arrachement des individus aux multiples liens qui les attachent et avec la domination de la terre. À force d’arrachement, le destin de masse d’individus démunis, déliés, a été remis à des mains totalitaires et aujourd’hui au marché et à la technique. » (p. 81). Geneviève Azam fait aussi remarquer la contradiction entre l’absence de la nature dans les calculs économiques et la naturalisation des rapports sociaux, de plus en plus inégalitaires. Mais la nature s’artificialise aussi sous les assauts de la technoscience, tendant à devenir progressivement une « techno-nature ». Au-delà l’observation de la réalité, l’auteure en vient aux réponses philosophiques et politiques à donner à la crise globale. Avant tout celle de l’autolimitation pour éviter l’avènement d’un « capitalisme du désastre » de couleur verte. « Ce n’est pas la conscience et l’acceptation des limites qui transforment l’humanité en troupeau, mais au contraire la croyance en la possibilité infinie de leur transgression. » (pp. 132 & 133) L’émancipation est vue, inversement, comme la recherche d’un attachement, d’un enracinement social et naturel, d’un bien commun : « Parler de commun, c’est exprimer la dépendance des humains entre eux et vis-à-vis de la terre, et tenter d’en faire une œuvre créatrice au lieu de la laisser dégénérer en guerre généralisée. » (p. 163) La démocratie, la solidarité, le ralentissement du temps, la relocalisation vs le libre-échange, de nouveaux droits humains à inventer, ainsi qu’un « droit de la Terre », sont autant de pistes évoquées au long de cet essai-boussole.

Bernard Legros