Bangladesh : des enseignants avides de connaissance

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À l’invitation d’«Education International Belgium» (EIB), une ONG qui a son siège à Anvers, Lut Adriaensens et Hugo Van Droogenbroeck donnaient une session de formation continuée aux enseignants d’une école rurale du Bangladesh durant six semaines, en juillet – août 2007. En septembre 2008, Hugo y est retourné pour un mois dans une résidence pour enfants bouddhistes. Ce furent des expériences inoubliables.

Le Bangladesh est l’un des pays les plus pauvres et les plus densément peuplés au monde. 140 millions d’habitants vivent sur un territoire qui correspond à 4,3 fois la Belgique, mais dont près de 30% sont de l’eau. Les inondations et les épidémies y sont monnaie courante. 83% des habitants sont musulmans. C’est un pays peu stable politiquement. Deux grands partis coexistent – Awami Liga (AL) et Bangladesh Nationalist Party (BNP) – et se succèdent au pouvoir. Le 11 janvier 2007, en plein processus électoral qui se déroulait dans la violence, l’armée a pris le pouvoir en mettant sur la touche les partis politiques, le parlement, etc. Les deux anciens premiers ministres et d’anciens ministres AL et BNP ont été emprisonnés pour corruption. Ils ont depuis lors été libérés sous caution. Il est possible qu’ils puissent participer aux prochaines élections du 18 décembre 2008, sans procès. Le pays doit combattre une énorme augmentation du coût des produits de base alimentaires et énergétiques. En un mois, le prix du riz a augmenté de 87%. Les activités syndicales sont limitées. Les grèves sont interdites et se terminent en confrontations violentes avec la police et l’armée.

L’enseignement

Jusqu’en 1946, le Bangladesh faisait partie de l’Inde britannique. Le système d’enseignement actuel est inspiré du système britannique. Cela signifie un enseignement principalement théorique et peu orienté vers la mise en pratique.
– L’enseignement maternel (pré-primaire) ne fait pas partie de l’enseignement formel. Certaines écoles organisent une classe maternelle, d’autres pas. Il n’y a pas de programme. Dans l’une des classes maternelles que nous avons visitées, les matières enseignées étaient les mêmes qu’en première année primaire (Bengali, Anglais, mathématiques et religion). Chaque matière est enseignée par un professeur différent tout au long de la scolarité.
– L’enseignement fondamental est obligatoire dès 6 ans. Il est divisé en 5 années (niveaux I à V). Le plus souvent, les classes comptent 60 à 100 élèves. Un certificat est obtenu suite à un examen central, en fin de 5ème année, qui est essentiellement une préparation à cet examen. Dans l’école que nous avons visitée, 40% des élèves arrêtent après la 4ème année, convaincus que de toute manière ils ne réussiront pas l’examen final.
– L’enseignement secondaire est divisé en trois types : l’enseignement général (64,6%), l’enseignement à orientation professionnelle (4,3%) et les Dakil madrassa (31,1%). L’enseignement secondaire comporte sept années d’études et est divisé en trois niveaux: junior (niveaux VI à VIII), secondaire (niveaux IX et X) et secondaire supérieur (niveaux XI et XII). A partir des niveaux IX à XII, l’enseignement général se divise en trois orientations: humanités, commerce et sciences. Seuls 12% de ce groupe d’âge (15% de garçons et 8% de filles) terminent l’enseignement secondaire complet.
– L’enseignement supérieur (université et hautes écoles) souffre d’un énorme déficit de places. Cette année, 371.000 étudiants ont obtenu leur Higher Secundary Certificate (HSC), une sorte de baccalauréat, mais seules 94.000 places sont disponibles.

La situation de l’enseignement est désolante. L’analphabétisme touche 51% des hommes et 70% des femmes. Pour l’instruction, le gouvernement ne dépense que 2,4% du PIB ou 15% du budget. L’enseignement public se limite le plus souvent à l’école fondamentale. L’initiative privée comble la lacune : il y a les madrassa (écoles islamiques avec un programme reconnu), des ONG qui proposent un enseignement … et des investisseurs privés qui trouvent dans l’enseignement un business rentable. Le gouvernement prend en charge 73% du salaire des enseignants et des frais de fonctionnement des écoles fondamentales. À côté de cela, il y a les écoles coraniques.
L’enseignement de qualité est impayable et réservé aux élites. Dès l’école maternelle, les parents payent une inscription en début d’année, un minerval mensuel et des frais d’examens (trois fois par an). Viennent en plus les frais d’uniforme, de livres, cahiers, etc… Il existe cependant un subside pour stimuler la scolarisation des fillettes. De plus, les enseignants donnent, avant ou après les heures de classe, des cours complémentaires payants à leurs élèves, «pour améliorer leurs chances de réussite». Une étude récente indique que 86% des élèves de l’enseignement secondaire suivent des cours complémentaires payants. Des 20 millions d’enfants en âge d’école primaire, 6 millions travaillent comme bouviers, servantes ou vendeurs de rue ou encore dans l’artisanat à la maison. Ils ne voient jamais une école de l’intérieur.
En fin d’école secondaire, il y a un examen d’état. Un classement des résultats des différentes écoles est publié dans les journaux… Les universités – le nombre d’établissements privés connaît une énorme croissance – ne veulent recruter que les meilleurs étudiants. Ils octroient des réductions sur les frais d’inscription en fonction des points que l’élève a obtenus à l’examen d’état.

Dipshikha 2007

L’ONG qui nous a envoyés au Bangladesh se consacre principalement à offrir aux fillettes une possibilité d’enseignement, principalement des orphelines ou enfants de mères isolées, sous forme de bourses d’études, de leçons de rattrapage, de frais d’internat ou d’autres frais scolaires.
EIB nous a demandé de dispenser une formation continuée aux enseignants d’une école primaire et secondaire. Dipshikha se situe dans la partie sud-est du Bangladesh, 30 kilomètres au nord de la ville de Cox’s Bazar. L’objectif était de relever le niveau des enseignants, pour que leurs élèves puissent bénéficier d’un enseignement de meilleure qualité. Les élèves sont très majoritairement musulmans, mais avec des minorités hindoue et bouddhiste.
Dans l’école où nous avons travaillé, seuls deux professeurs sur seize avaient suivi une formation d’enseignant. Un certificat pédagogique n’est exigé que dans les écoles gouvernementales. Les enseignants gagnent très peu : 4.000 taka par mois, soit environ 40 €. Il n’y a pas de barème fixe, sauf si vous travaillez dans une école gouvernementale et que vous avez le diplôme exigé. Il n’est donc pas extraordinaire que les enseignants essayent d’arrondir leurs fins de mois par des leçons privées.
Par l’observation, il nous est apparu que l’enseignement lui-même était déplorable. Par exemple, dans une leçon sur «ma mère», l’enseignant lisait un texte dans le manuel et les élèves devaient le répéter en chœur. Comme devoir, les élèves devaient recopier le texte et l’apprendre par cœur. Tout apport personnel était inadmissible.
Nous avons commencé notre formation sur la base de : comment articulez-vous une leçon? Nous nous sommes basés sur le modèle d’instruction par activation directe (Veenman et autres), qui est le plus proche du modèle classique d’instruction et qui offre en même temps des possibilités de différenciation. En ce moment, ce modèle est aussi promu dans l’enseignement de la communauté flamande. Durant les sessions pratiques, les enseignants ont présenté leur leçon (d’entraînement) devant leurs collègues. L’accent était mis sur l’utilisation de matériel didactique, les activités de réflexion et le travail en groupe. Ensuite, la leçon était donnée à leur propre classe. La motivation des élèves s’est améliorée de manière spectaculaire.
Les problèmes au niveau de l’école ont été abordés dans une deuxième étape du recyclage. Le renouvellement du personnel est toujours énorme. Trois enseignants ont été choisis comme mentors pour guider les nouveaux arrivants (neuf des seize enseignants avaient été engagés depuis janvier de cette année). Dès l’école maternelle, les cours sont donnés par des enseignants spécialisés, ce qui fait que personne ne se sent responsable de la classe. C’est pourquoi une cellule de remédiation et des titulaires de classe ont été mis en place. Leur première tâche sera le traitement du grand nombre d’absences dans les classes. Les titulaires de classe se réuniront chaque semaine avec leurs élèves pour discuter de tous les problèmes.
Avec le temps, l’enthousiasme et l’assurance des enseignants augmentaient. Comme récompense, ils reçurent un certificat de fréquentation de formation complémentaire. De notre coté, nous étions contents d’avoir pu apporter notre petite contribution à la solidarité mondiale.

Ramu 2008

Cette année, l’E.I.B. a conclu un accord de coopération avec le Jagat Joyoti Children Welfare Home (J.J.C.W.H.). C’est une résidence pour orphelins de 6 à 16 ans, venant de la région de minorités des Hill Tracts, négligée et délaissée par les autorités du pays. Elle est située au pied d’un temple bouddhiste à Ramkot, un village près de Ramu, à quelque 20 kilomètres au nord de Cox’s Bazar. Le home est fondé par le père Lupi, un prêtre italien, qui veut offrir une chance d’avenir aux enfants les plus pauvres des Hill Tracts. L’E.I.B. subsidie les frais scolaires, la nourriture et le logement de 28 pauvres orphelines qui séjournent au Centre et de 30 filles qui y ont séjourné et poursuivent à présent des études.
Durant mon séjour au Bangladesh, j’ai logé dans ce home. J’ai eu la chance de pouvoir participer au fonctionnement quotidien de ce Centre. Les enfants suivent l’enseignement de l’école primaire et secondaire locale, où les classes de 60 à 100 élèves sont tout à fait normales. L’enseignement qu’elles y reçoivent est déplorable. Le Centre tente de compenser en organisant une guidance des devoirs personnels, des études et des cours complémentaires. Ce fut un séjour agréable parmi ces enfants. En étant salué chaque matin à 6 heures par un «good morning, how are you», la journée démarre sous les meilleurs auspices. Nous y avons appris beaucoup et échangé des expériences, nous nous sommes réunis et avons discuté avec l’encadrement pédagogique. Nous avons parlé de l’introduction de nouvelles méthodes d’étude, entre autres pour l’anglais, qui est une matière vitale pour la carrière ultérieure de ces jeunes, etc.

Nous avons pu mettre en place trois projets pour l’année civile prochaine. Deux stagiaires, étudiantes en orthopédagogie de la Haute Ecole de Gand, y feront un stage au début de l’année prochaine. Durant les grandes vacances, deux collaborateurs pédagogiques de l’E.I.B. donneront une formation continuée à 15 enseignants des sept Centres du père Lupi dans les Hill Tracts. Un étudiant suivant une formation supérieure pédagogique à la Haute Ecole Artesis à Anvers fera un stage début de l’année prochaine au Memorial Christian Primary School à Dulhazara (à mi-chemin entre Chittagong et Cox’s Bazar). Ici aussi, l’E.I.B. subsidie les frais de scolarité de 16 pauvres fillettes de l’école primaire, ainsi que ceux de quatre étudiantes qui suivent une formation supérieure de laborantines.
Les enseignants nous ont demandé pourquoi le Bangladesh reste si pauvre et ne parvient pas à se développer. Ma réponse fut simple : l’Ouest ne veut pas que le Bangladesh se développe. Il en a besoin pour se pourvoir à bon compte en textiles, confection et nourriture (entre autres les scampis). Selon Michaël Parenti: «La dernière chose que les puissants impérialistes veulent au niveau mondial sont des nations sûres d’elles-mêmes et capables de se développer par elles-mêmes. L’impératif est de rendre les autres pays pauvres, affamés et faibles. Car si les conditions sont plus dures, vous travaillerez pour moins d’argent.» (Indymedia, 8 octobre 2008).