Enfance sacrée

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Mes enfants rentrent de l’école. “J’ai fait un test”, ils me disent. “Eh bien” je demande, « comment cela s’est-il passé. « Oh, bien » ils me répondent.. Ainsi je suis heureux de leur préparation et je me retrouve avec le sentiment d’être un bon père.
Mais finalement je comprend que quelque chose m’échappe. Tout au fond, comme n’être plus capable de faire 2 + 2. Enfin je réalise, je me rend compte qu’il ne passe pas une semaine sans tests … et je commence à réfléchir.

La grande attention que l’on porte aux évaluations et au contrôle précis des élèves a une forte signification dans ces temps d’optimisation, de rationalisation et d’augmentation de la compétition individuelle.

L’hypervalorisation des résultats scolaires – résultats ressentis comme un élément prédictif des futurs destins, professionnels et économiques des élèves devenus adultes – semble en quelque sorte vouloir marquer la victoire de l’école sur la société; comme s’il appartenait à l’école de répartir les postes de travail dans la société. Mais nous savons qu’il n’en est pas ainsi. Trop de déterminations favorisent encore toujours la classe sociale, quoique masquées par la méritocratie.

Et nous savons que le mérite scolaire augmente avec la richesse accrue des parents. Nous le voyons dans les échecs, dans les notes, dans l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur…

Comment faire pour contrecarer cette “valorisation des différences » à l’école ? Valorisation totalement calquée sur le développement de systèmes de surveillance des compétences et la mesure des standards acquis. Ce monitorage n’a rien de neutre, car, avec la définition des ces standards et leur acceptation, c’est l’exclusion même que l’on vient de definir …

Que cela arrive à l’école obligatoire est grave, très grave. Déjà, dans les jardins d’enfants, les parents et les enseignants se demandent si le niveau atteint peut être acceptable et si cela pourra conduire à une position sociale de «mérite». Voilà une utilisation totalement privée de la scolarité obligatoire, un usage au profit d’un individu ou d’une classe. Mais l’école primaire n’a pas, et n’a jamais eu, comme objectif de former des élites économiques ou un nombre très restreint d’étudiants particulièrement performants.

Enfin, il y a de nombreux tests. Avec une marge d’erreur qui vaut 0,1 point, ou une variante systémique, ou une faute qui équivaut xy points décimaux… Puis, ils nous disent qu’il s’agit de former les jeunes à participer à une citoyenneté critique et consciente, de développer pleinement leur personnalité… comme on nous l’affirme dès les premières pages du programme d’études !

En vérité, tout cela sent la professionnalisation de l’enseignement obligatoire. C’est-à-dire son inscription dans un contexte de réussite, de productivité, de réalisation des standards officiels, de production de performances minimales, plutôt que la formation culturelle ou celle de citoyens critiques, conscients et bla bla bla.

Dans ce contexte, les partisans de la note justifient leurs actions par le besoin de savoir précisément quelles sont les compétences acquises par les étudiants. Mais une question est de savoir à quelle hauteur vous pouvez sauter, une autre est d’optimiser le saut pour définifr des normes d’acceptation et d’exclusion. Ce qui est surprenant n’est pas tant cette pratique, ce qui est étonnant, c’est qu’elle s’applique avec les enfants de 6, 7 ans, ou un adolescent de 15 ans, ou un étudiant du secondaire. Il n’y a plus d’enfance, ni de protection de l’enfance.
L’enfance n’est plus un sanctuaire, n’est plus sacrée. C’est une salle de gym.