Oui à la liberté de pensée, de conviction et de religion, en privé comme en public !

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Depuis quelque temps, suivant l’exemple français, le débat sur l’opportunité ou non d’une loi interdisant le port du foulard à l’école fait rage, charriant son lot d’idées réductrices et d’amalgames. Ce débat n’est cependant pas nouveau en Belgique où, depuis des années, de plus en plus d’écoles ont progressivement interdit le port du foulard.

Les associations qui signent ce texte, au-delà de leurs différences philosophiques ou confessionnelles, ont un point en commun : ils pensent que, sur cette question comme sur bien d’autres, ce sont des valeurs et des principes qui doivent rassembler, bien au-delà d’une hypothétique identité unique et figée. Elles refusent que l’on oppose une communauté à une autre, les laïcs aux religieux ou encore les féministes aux femmes portant le foulard… Elles estiment que l’interdiction du foulard à l’école est une réponse à la fois simpliste et erronée – ou même un dérivatif – à des problématiques complexes. Donc une mauvaise réponse.

Aussi, dans ce débat par trop souvent monopolisé par des représentants des mondes politique et religieux, nous semblait-il nécessaire de faire entendre notre voix, celle d’associations de citoyens, très diverses mais partageant les valeurs qui fondent la démocratie. Les discussions et les échanges favorisés par la mise en place d’une plate-forme associative nous ont permis de développer une réflexion sur la question de l’interdiction du port foulard à l’école et ce, à la lumière des droits fondamentaux, des réalités et des expériences communes et/ou respectives. C’est là que réside la force de notre manifeste.

Comment d’abord ne pas tenir compte du contexte général dans lequel ces prises de position contre le port du foulard à l’école apparaissent ?

Depuis le 11 septembre 2001 surtout, et la déclaration de « guerre internationale au terrorisme » qui s’en est suivie, le préjugé religieux semble bel et bien avoir pris le pas sur les préjugés de type raciste ou culturel et l’islamophobie gagne chaque jour du terrain.

La conséquence est prévisible : la stigmatisation dont se sentent victimes les populations musulmanes provoque, pour une partie d’entre elles, une réaffirmation identitaire forte. Qui s’en étonnera ? Celle-ci s’accompagne, et nous sommes les premiers à le déplorer, d’un « raidissement » de certains musulmans, qui se traduit notamment au travers d’actes et attitudes racistes et antisémites et par de l’intégrisme. Ces manifestations, même si elles sont largement minoritaires, nous inquiètent. Mais nous pensons qu’elles ne sont pas à confondre avec le port du foulard. Les tenants de l’extrême-droite se renforcent et se nourrissent d’ailleurs eux aussi du climat actuel.

Dans ce contexte, les débats sur le port du foulard dans les écoles se sont emballés. Des craintes s’expriment : crainte de prosélytisme, crainte de voir les musulmanes qui ne portent pas le foulard fortement culpabilisées, crainte de ne plus pouvoir imposer des limites (argument de la jeune fille refusant d’assister au cours de biologie, ou de celle qui commence par porter un foulard et finit par disparaître complètement sous son voile), crainte aussi que l’égalité entre hommes et femmes – ce long combat de nos sociétés modernes que, pour d’aucuns, le refus du voile semble symboliser – ne soit mise à mal, crainte encore que ce foulard, ce supposé « signe de non-intégration », ne conduise à l’intégrisme, crainte enfin que la laïcité ne soit mise en danger…
Il convient d’écouter, de mesurer et de comprendre ces peurs autant qu’il s’avère essentiel de ne pas faire l’impasse sur les difficultés qui mineraient les fondements d’une vie scolaire épanouie. Nous, signataires de ce texte, refusons le prosélytisme à l’école et défendons l’idée que tous les élèves doivent respecter les obligations scolaires. Nous tenons à l’égalité hommes-femmes et à la neutralité de l’enseignement. Mais nous considérons que l’interdiction du port du foulard dans les écoles est une démarche liberticide, illégale, contre-productive et discriminatoire.

C’est pourquoi, après mûre réflexion, nous sommes arrivés à la conviction que l’interdiction du port du foulard à l’école est inacceptable.

Nous estimons qu’il est indispensable de nous battre pour que les établissements – de plus en plus rares – qui acceptent encore aujourd’hui le foulard continuent à le faire et pour obtenir que les écoles qui ont déjà pris des mesures d’interdiction dans leurs règlements d’ordre intérieur fassent marche arrière. En effet, de sérieux efforts dans les milieux de l’enseignement en faveur d’une meilleure compréhension interculturelle et de plus d’ouverture à l’Autre nous paraissent une tâche autrement plus importante et urgente.

Voici les raisons de cette prise de position.

1. Des raisons légales et de principes

Au cœur de ces débats sur l’interdiction du port du foulard, et sous le couvert de la défense d’une laïcité vécue par certains comme sacro-sainte , il est difficile de ne pas reconnaître des relents de peurs, des préjugés, voire du racisme ou un sentiment de supériorité culturelle. Quand ce n’est pas, plus prosaïquement, une question de positionnement de l’école par rapport à une « clientèle » cible (avec en arrière-plan l’idée qui veut qu’une population étrangère trop visible dévalorise une école )…

En l’occurrence, l’on peut ici sans conteste lire les décisions d’interdire le port du foulard à l’école comme des décisions discriminatoires vis à vis des jeunes filles musulmanes. De fait, à Bruxelles aujourd’hui de moins en moins d’écoles autorisent le port du foulard. Les élèves souhaitant poursuivre leur scolarité tout en continuant à le porter s’y retrouvent dès lors concentrées, et, dans le pire des cas, voient leur scolarité stoppée.
En cela, interdire le port du foulard, c’est tout simplement créer des ghettos, exclure, stigmatiser et introduire une nouvelle discrimination en matière de qualité de l’enseignement.

Par ailleurs, comme le souligne le juriste Jean-Yves Carlier , il existe des arguments pour soutenir qu’une telle interdiction serait contraire à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à laquelle est liée la Belgique. Celui-ci reconnaît en effet le droit de toute personne à « la liberté de pensée, de conscience et de religion », et stipule que ce droit implique « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques on l’accomplissement des rites (§1) ». Droit qui ne peut « faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (§2) ». A l’évidence, le port du foulard ne contrevient en tant que tel « ni à l’ordre, la santé ou la morale publique, ni aux droits et libertés d’autrui » . Ne mélangeons pas tout. En définitive, le foulard ne pouvant selon nous en aucun cas être prétexte à refuser de suivre certains cours, ce qui pose problème, nous semble-t-il, c’est sans doute ce qu’on associe – et souvent de façon fantasmée – au foulard, bien plus que le foulard lui-même. Et pour ce qui est des opinions et des représentations qui y sont associées, il nous semble bien plus fondamental qu’un dialogue puisse s’établir entre la communauté éducative et les jeunes concernés.

2. Des raisons pragmatiques et de principes

Interdire le port du foulard dans les écoles a pour première conséquence, évidente, de conforter les jeunes filles et leurs parents dans la conviction qu’on ne les reconnaît pas dans leurs spécificités religieuses et/ou culturelles. Ce qui contribue un peu plus à renforcer les tendances au repli identitaire et ouvre la porte aux extrémistes qui ont beau jeu de se présenter comme les seuls vrais défenseurs des citoyens de confession musulmane en Belgique. Qui le souhaite ? Certainement pas nous.

Bien sûr nous entendons bien les craintes souvent soulevées quant à une « contagion » possible du port du foulard dans les écoles ; ou lorsqu’on évoque le risque possible de récupération par des mouvements radicaux religieux. Nous entendons ces craintes, mais nous faisons le pari contraire : manifester notre opposition à l’interdiction du port du foulard dans les écoles, et donc notre soutien à ces jeunes filles qui se sentent discriminées, c’est contribuer à lever la stigmatisation dont elles sont l’objet, bref à construire des ponts et ainsi à éviter peut-être, la tendance au repli identitaire. Le besoin de signes extérieurs d’appartenance est évidemment d’autant plus fort que le milieu environnant est perçu comme stigmatisant.

Dans ce sens, nous pensons donc qu’interdire le port du foulard est contre-productif.
Par ailleurs, il nous paraît primordial de ne pas laisser l’ensemble du débat aux religieux et aux politiques, dont les visées ne vont pas forcément dans le sens de l’intérêt des jeunes filles concernées. Il nous paraît donc plus que souhaitable que d’autres associations se joignent à nous dans cette opposition à l’interdiction – qui n’est pas un soutien au port du foulard.

Il est entendu aussi qu’ayant affirmé cela, nous ne pouvons tout aussi certainement tolérer des groupes intolérants, racistes et sexistes, de quelque bord qu’ils soient : musulmans, juifs, catholiques, laïques et/ou d’extrême droite ou même se réclamant de « la gauche » .

Nous ne tolérons pas l’atteinte à la dignité humaine et le non-respect de la liberté personnelle. Nous serons toujours du côté des jeunes filles et des femmes qui souffrent du diktat imposé par des hommes – ou des femmes – qui utilisent la religion ou une philosophie politique pour asseoir leur pouvoir . Nous n’acceptons pas que soient restreints les libertés et droits des femmes, si chèrement acquis.

Mais si des femmes religieuses juives veulent porter la perruque après le mariage, si des femmes catholiques refusent, au nom du Pape, d’utiliser des moyens de contraception , si des jeunes femmes musulmanes veulent porter le foulard, nous pouvons certes entrer en dialogue avec elles mais certainement pas leur imposer un mode de vie.
Nous pensons qu’il ne peut y avoir de réglementation contraignante sur un problème qui engage d’abord et avant tout la liberté individuelle, et donc notamment la liberté de vivre pleinement ses choix religieux.

Postuler le contraire serait postuler l’incapacité de l’école à remplir les missions qu’on lui assigne, à savoir assurer à tous et toutes le droit à l’instruction et à l’éducation, favoriser la rencontre et l’ouverture à l’autre, la discussion, l’esprit critique et le doute, en même temps que le droit de choisir sa vie, en pleine connaissance de cause.
Là sans doute serait la démission…

[->http://www.liberte-foulard.be ]