Haro sur l’élitisme du latin !

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Voilà donc que la ministre Arena, dans son immense sagacité, a décrété que ne pas offrir aux élèves du premier degré de l’enseignement secondaire d’autre possibilité qu’une section « latine » – comme c’était jusqu’ici le cas dans plusieurs écoles de la Ville de Bruxelles – serait désormais interdit. Motif : imposer le latin serait élitiste. Le gros mot est lâché.
Personnellement, j’ai encore le souvenir douloureux de mes relations chaotiques avec le cours de maths et de vacances gâchées à tenter de percer le mystère insondable des intégrales et autres tangentes. Aussi suggérerais-je à Madame Arena de mettre au plus vite fin au calvaire de trop nombreux élèves qui, comme moi jadis, butent six ans durant sur des concepts algébriques qui leur resteront à jamais obtus : supprimons le cours de maths, cours élitiste s’il en est.

Je n’avais pas ces difficultés en français. Mais voyons les choses comme elles sont : le français est une langue horriblement compliquée, que fort peu d’entre nous maîtrisent honorablement. Quant aux autres, ils se contentent d’envoyer des courriels ou des sms bourrés de fautes qui ne choquent plus personne, et aux grandes occasions, s’adjoignent les services d’un correcteur. Supprimons donc le cours de français, Madame Arena. Il sera bien temps, à l’université, d’enseigner aux quelques hurluberlus qui tiennent absolument à parler et à écrire une langue châtiée les rudiments et subtilités de la leur…

Je vous épargnerai la litanie des cours absolument dénués d’intérêt, et qui plus est sans nul doute élitistes, que nous imposons par pure cruauté mentale au potache d’aujourd’hui, et ce alors même que nous savons pertinemment que ceux-ci ne leur serviront à rien, si ce n’est pour l’infime minorité qui y découvrira sa vocation.

Et pourtant… Pourtant, je me prends parfois à penser (oups ! ne viens-je pas d’écrire un gros mot, un mot d’élite, à bannir sur le champ donc ?) que mes combats désespérés avec les maths, mais aussi avec la chimie, le grec ou l’allemand, n’ont pas été entièrement vains. Que le rôle de l’école est de façonner un cerveau aussi complet et polyvalent que possible. Et avant cela, d’ouvrir des portes. De faire découvrir aux élèves les beautés de la langue, des langues, des sciences, des arts. Et ce même si certains d’entre eux y resteront hélas imperméables.
Aussi, le latin pour tous, je trouve que c’était une excellente idée. Une manière de donner à chaque élève, quel que soit son milieu, quelles que soient ses origines, la chance de découvrir une « nouvelle » langue, et avec elle, comme chaque fois qu’on apprend une langue, une culture, un mode de pensée, une logique. Une manière d’éviter que les élèves issus de milieux moins favorisés, où l’on ne voit sans doute pas toujours bien l’intérêt d’étudier une langue morte, soient cantonnés dès l’abord dans une filière « sans », donc appauvrie, tandis que les élèves issus de milieux plus privilégiés de retrouveraient entre eux pour s’adonner aux joies et/ou aux supplices des déclinaisons.
Après un an ou deux de latin, rien n’empêchait ceux que l’expérience n’avait pas convaincus de bifurquer vers une section « moderne ». Où est l’élitisme là-dedans ?

Le Parti Socialiste est tombé bien bas, s’il estime qu’apprendre aux élèves à penser, que les tirer vers le haut, les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes – ce qui se signifie pas, loin de là ! laisser tomber les autres, mais simplement donner sa chance, toutes ses chances, à chacun – est condamnable parce qu’élitiste. S’il estime que certains enfants, par nature quasi, n’ont pas accès au latin, et qu’il faut donc d’emblée leur éviter ce traumatisme. S’il estime qu’imposer est toujours ringard, même lorsqu’il s’agit d’enfants, même lorsqu’il s’agit de culture ou d’émancipation. Est-ce sur de tels principes que le PS a bâti son combat pour le suffrage universel ? Car au fond, Madame Arena, l’obligation pour tous de voter, donc de réfléchir un tant soit peu, n’est-ce pas terriblement élitiste, ça aussi ? Ne serait-il pas plus « démocratique » de créer d’emblée deux filières : celle avec droit de vote, et celle sans ?

Nadia Geerts

professeur de morale à la Ville de Bruxelles

1 COMMENT

  1. > Haro sur l’élitisme du latin !
    Le débat sur l’enseignement des langues mortes n’est pas près de se terminer. Ceux qui furent latinistes, ou mieux greco-latinistes restent profondément convaincus que la maîtrise du français n’est possible qu’en ayant étudié le latin. Le français serait donc la seule langue qui ne peut s’apprendre correctement sans étudier les langues disparues qui l’ont engendrée.

    L’autre argument récurrent est l’ouverture d’esprit que la déclinaison latine offrirait. Nos distingués latinistes semblent convaincus que l’apprentissage de l’allemand, du russe ou du hongrois, langues vivantes aux déclinaisons tout aussi riches, ne peuvent donner la même ouverture d’esprit !

    Faut-il que la connaissance d’une langue n’ait aucune utilité pratique pour qu’elle permette d’ouvrir l’esprit ?

    Je conteste que l’apprentissage du latin ait une efficacité réelle pour la maîtrise du français. Si les heures perdues à étudier une langue morte étaient utilisées à l’enseignement de la langue maternelle le résultat serait très certainement bien meilleur.

    Ce sont des réalités que ceux qui sont issus des filières latines contestent formellement, y compris ma propre épouse. Je pense qu’il existe réellement un complexe du latiniste. Ayant perdu son temps à étudier une matière qui ne lui sert à rien il se cherche des justifications toutes plus spécieuses les unes que les autres (joli mot quand même « spécieux », pour un non latiniste…).

    Pour ma part, je regrette que le latin ne soit pas définitivement remplacé par des cours de langues potentiellement utiles, à commencer par un approfondissement de la langue maternelle. Je trouve proprement scandaleux qu’on fasse encore perdre leur temps aux élèves de cette façon.

    Jean-Pierre Wauters

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