Banlieues

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« Depuis ce jour-là, je sais que j’ai en moi la capacité de tuer. De tuer vraiment. Si, à ce moment j’avais pu le faire, je l’aurais fait. » Ce n’est pas un « sauvageon » encagoulé, « racaille » ou voyou incendiaire quelconque qui parle ce 7 novembre dernier dans mon cours de philo, c’est un des meilleurs élèves d’une de mes deux terminales ES, au lycée Maurice Utrillo, à Stains, Seine-Saint-Denis. Il vient de nous raconter, tout simplement, pas un mot plus haut que l’autre, comment l’été dernier, à l’occasion d’un prétendu contrôle de police, dans sa cité, il s’est retrouvé déshabillé de force sur la voie publique, humilié, en caleçon, un policier lui tâtant complaisamment les parties en ricanant : « T’aimes ça, hein, petite pédale, qu’on te les tripote, hein, allez vas-y, là, chiale un coup devant tes potes, allez ! » David a effectivement pleuré. On soupçonnait des trafics dans le quartier… Aucune suite à cette vérification d’identité. Son médecin lui a prescrit des calmants. Il ne sait rien ou presque de ce qui se passe en ce novembre brûlant : « Ben non je regarde pas la télé parce que sinon je sais que je pourrais pas dormir de la nuit… et je risquerais de m’y mettre moi aussi. » Il tient à avoir son bac.

Bilal s’énerve : c’est la troisième fois dans la même journée que la prof exige, dans le brouhaha général du cours, qu’il change de place. Excédé, il sort de la classe en tapant sur une table violemment et en claquant la porte. Conseil de discipline : violences et menaces envers un professeur, exclusion définitive. Je le défends plus tard devant la commission rectorale : le recteur ramène la punition à un mois d’exclusion avec sursis. Bilal pourrait revenir au lycée : il a cependant de lui-même demandé à terminer son année scolaire dans un autre établissement ; mais le mois et demi de cours en moins se fait sentir, il n’obtiendra son bac que l’année suivante après redoublement.

Hoang voudrait bien enfin pouvoir s’installer avec sa copine : il regarde, désespéré, le prix de location des moindres studios aux vitrines des agences. Ce sera pour quand il sera enfin sorti de la galère des stages, intérims et autres CDD, en attendant il faut s’inscruster ches les parents : il a bientôt 26 ans, humilié devant son père.

17 septembre dernier, coup de téléphone, un de mes anciens élèves d’il y a cinq ans : « Vous connaissez pas un bon avocat ? – Euh… si, mais pourquoi ? Qu’est-ce qui t’arrives ? – Ben on m’a dit qu’il fallait que je fasse un recours… – Un recours ! et contre quoi ? » Il raconte : une société de bagagistes l’a embauché pour travailler sur la plateforme de Roissy. Il faut un agrément préfectoral. Refusé. Motif ? S’est rendu coupable en 1995 d’une « intrusion » dans un établissement scolaire : il avait quatorze ans, accompagnait un copain qui avait dans ce collège une démarche administrative à accomplir. Que s’est-il passé ? Embrouille quelconque sans doute, les policiers appelés les cueillent à la sortie, et – ceux-là connaissent leur métier – les relâchent moins d’une heure après. Mais ils sont fichés. Dix ans plus tard, Omar se voit refuser l’agrément pour travailler à Roissy… Il espère en un recours devant le tribunal administratif.

Je ne sais pas très bien que penser des feux qui illuminent nos banlieues depuis quelques temps. Certes, je sais tout de même que ce n’est pas en brûlant voitures, bus, écoles ou entrepôts, en tirant sur des policiers, ni même en virant un ministre, qu’on résoudra la question du logement, de l’échec scolaire, du chômage, des discriminations, du prix du terrain, de la fiscalité locale, des ghettos urbains, de l’exclusion, du délitement de la vie associative, du racisme, des violences policières, de la drogue, des milices en formation dans les quartiers, du communautarisme, de la corruption des élites, etc., etc.. Combien coûte l’heure d’hélicoptère ? Combien en subventions aux associations de quartiers cela pourrait représenter ?

Et mes élèves et moi, nous savons donc aussi, si les mots ont un sens, où sont les vraies « racailles » et qui sont les premiers incendiaires.

Bernard Defrance
www.bernard-defrance.net

3 COMMENTS

  1. > Banlieues
    C’est indigne de notre pays : j’ai l’impression qu’on retourne aux heures les plus noires de notre histoire. On fait la chasse aux « classes dangeuses » ; toute mesure les enfonce davantage. Et dire qu’on entends des intellectuesl patentés gloser sur le « refus d’intégration » !!!
    Il faut rentrer en Résistance.
    Avec toute ma sympathie pour vous et vos élèves.

    • > Banlieues
      J’ai consulté le site de cette affaire. L’état se fiche vraiment des petites gens, comme pour l’affaire d’Outreau par exemple. Une telle catastrophe judiciaire nous fait comprendre combien nous sommes de la classe ouvriére, de la petite classe, des Français d’en bas!
      les politiques, pour masquer les problêmes disent que c’est les communautarismes qui ont enflammées les banlieues. C’est pas vrai! c’est la précarité, le fait d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, et par exemple, ne pas avoir accés à une justice bonne, alors que les nantis et riches ne sont que condamnés à des peines avec sursis ou petites peines ridicules en prison dorée!
      disons non à toute manipulation des politiques, Français d’en bas, unissons-nous!

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