L’inspection pédagogique aux risques de l’évaluation

Facebooktwittermail

Jean-Pol ROCQUET est inspecteur de l’Education Nationale à PERPIGNAN. Il a été professeur de français, inspecteur-professeur en IUFM, il a travaillé dans l’AIS. Il est l’un des membres de cette fameuse équipe d’inspecteurs de la Marne, avec Georges GAUZENTE et Rémi BOBICHON, qui a, bousculant parfois les convenances, avec un grand sens du service public lié à une certaine indépendance d’esprit et à une vigoureuse volonté de contribuer à l’évolution du système éducatif, tenté de redéfinir le métier d’inspecteur en développant l’innovation dans la concertation avec les enseignants. Leur livre, « Inspecteur, un nouveau métier » fait encore référence. Leur site Internet et leurs nombreux articles alimentent toujours les réflexions sur l’évolution des missions des inspecteurs.

L’inspecteur est traditionnellement redouté. Dans l’ouvrage écrit avec Brigitte PERUCCA, « La République des Enseignants », Emmanuel DAVIDENKOFF n’hésite pas, dans un chapitre curieusement intitulé « La quête d’une bénédiction professionnelle », à affirmer: « De tous les interlocuteurs des enseignants, les inspecteurs sont sans doute ceux qui font l’unanimité la plus évidente. Contre eux. » Certains syndicats d’enseignants mettent en cause cycliquement les pratiques des inspecteurs. Pourtant dans le même temps, majoritairement, les enseignants reconnaissent la nécessité d’une évaluation, voire d’un contrôle, parfois d’une reconnaissance, et, unanimement, ils préfèrent, comme le souligne Jean-Pol ROCQUET, page 8, avoir comme interlocuteurs des ex-pairs plutôt que des notables ou des responsables extérieurs.

Tout en soulignant l’importance de ce métier, Jean-Pol ROCQUET l’analyse, le dissèque, le presse sans la moindre complaisance. Il décrit des pratiques, les siennes et d’autres, observe les réactions des enseignants, étudie l’impact des différentes formes d’intervention, propose les expérimentations qu’il a conduites, ouvre des portes et des fenêtres qui l’ont rarement été de cette manière, offre des possibilités de transformation des pratiques, avec, par-dessus l’ensemble, un respect profond pour les enseignants, leurs capacités de réflexion et de progrès. Ce respect surgit au fil des pages, dans les descriptions d’inspections, d’entretiens, d’animations, sous la forme de la confiance à construire dans les relations inspecteur/inspecté.

Chacun des huit sous-chapitres traitant les différentes dimensions de l’évaluation s’ouvre sur le récit glosé d’actes professionnels vécus qui sont analysés, exploités en termes de comportements, de postures, de communication: l’évaluation contrôle, l’évaluation reconnaissance, conformité et singularité, l’évaluation en entretien d’évaluation, écoute active en évaluation, inspection et animation, inspection et médiation, inspection et intégration de conflits, inspection et accompagnement. Une liste et tout un programme.

Cette partie, sans doute l’essentiel du livre (129 pages), pourrait constituer un excellent outil de formation initiale, si les responsables de celle-ci admettaient la nécessité de la faire évoluer, et de formation continue pour les inspecteurs. Le tableau comparatif contrôle /évaluation (pages 207 et 208) sera sans doute objet de photocopillage. Si les copies provoquaient le besoin d’approfondir les réflexions en allant puiser dans le livre, si les syndicats d’inspecteurs et les conseils d’inspecteurs s’en emparaient pour débattre, on ne pourrait que s’en réjouir. Les charges de travail, utilement signalées par l’auteur, réduisent considérablement la part pourtant indispensable de réflexion collective chez les inspecteurs, alors que, comme l’indique la note de présentation: « L’évaluation comporte des risques, risque de confusion avec le contrôle, risque de responsabilité totale laissée à l’enseignant, risque de confusion avec d’autres pratiques : pilotage et formation. Inspecter est bien un nouveau métier qui s’inscrit dans une perspective d’évolution. C’est pourquoi un inspecteur exerce une pratique réflexive ».

Deux problèmes au moins susciteront de sérieux débats: le pilotage et la place de l’observation dans l’acte d’évaluation.

Le pilotage est allègrement taillé en pièces avec cette lucidité propre aux auteurs de l’ouvrage cité publié par le CDDP de la Marne, et avec une argumentation qui risque de déstabiliser un certain nombre d’inspecteurs: « L’évaluation en inspection n’est pas un processus rationnel. Et même les inspecteurs qui prétendent « piloter » leur circonscription ou leur département sont dans l’illusion de la rationalité totalisante. Chacun se livre à une interprétation des éléments représentés par des langages. » (page 37), « Le pilotage par indicateurs a prouvé son inefficacité » (page 42). Il me paraît difficile de contester la rigueur de l’analyse. « Piloter » une circonscription, avec un « tableau de bord » comprenant une trentaine d’indicateurs comme le propose Viviane BOUYSSE peut conforter une image techniciste, moderniste en apparence, mais n’a guère de sens et ne résiste pas à la confrontation avec la réalité des pratiques.

Concernant la place de l’observation de séquences, on pourra être plus nuancé et discuter. Jean-Pol ROCQUET affirme tranquillement que l’observation ne sert à rien pour l’évaluation (page 76) et il développe longuement et justement l’importance de l’entretien fondé sur l’écoute, le dialogue, la mise en évidence des choix, des valeurs, des représentations, des modèles implicites. Des inspecteurs pourront néanmoins diverger de bonne foi en mettant en récit à leur tour des analyses de séquences, des problématisations, sans jugement de valeur, permettant de nourrir la réflexion et d’éclairer des déclarations de l’un, l’inspecteur, et de l’autre, l’inspecté. Il est par contre vrai que l’exploitation des observations en termes de jugements (bien ou pas bien), de conseils qui sont toujours en fait des critiques faciles et insupportables (« Madame aurait pu, aurait du, devra… » Si elle doit le faire, c’est qu’elle a eu tort de ne pas le faire, donc ce n’est pas un conseil) est actuellement caduque.

La mise en relation entre l’évolution de l’institution aurait peut-être mérité un traitement plus approfondi. Le point d’histoire (« deux modernités ») semble sous-estimer l’importance de la loi de 1989 pour l’école et pour l’inspection. Certes la notion « d’élève au centre du système » consubstantielle à cette loi est commentée, mais la rupture induite avec l’école de Jules Ferry, l’institutionnalisation du projet, l’incitation au développement du travail d’équipe, de la continuité, de la transversalité, ont eu ou auraient pu avoir des conséquences sur les pratiques d’inspection. Il est vrai que cette loi qui restera un évènement a été quasiment enterrée sans même avoir été défendue par ses auteurs, et Jean-Pol ROCQUET n’a pas fait le choix d’une analyse historique. Mais les espoirs levés chez les progressistes authentiques par cette loi auraient pu faire l’objet, malgré tout, d’une vision prospective et d’une partie de la conclusion.

Des lecteurs souhaiteront un approfondissement des articulations entre les évaluations des élèves, des enseignants, des inspecteurs eux-mêmes et du système, et une mise en perspective avec une école du 21ème siècle fondée sur un projet de société. Quelle école pour quelle société et quelle inspection pour quelle école? Ce sera peut être l’objet du prochain livre de l’auteur.

D’autres admireront le style, l’ouvrage est facile à lire, malgré la complexité rocquetienne du langage qui fait sourire:  » Evaluation et insight… L’évaluation est une heuristique…Avec le récit glosé, la démarche est abduite… »

Des débats sont à prévoir, des croisements à faire, par exemple avec le livre de Dominique SENORE, « Pour une éthique de l’inspection », qui décrit fort bien « le modèle charismatique » et « le modèle techniciste » pour en proposer un autre, des expérimentations et des communications s’imposeront…

En résumé, un livre important, intéressant, à exploiter systématiquement en formation d’inspecteurs et en séminaires officiels ou syndicaux. Un travail considérable, sérieux, fondé, précis. A lire par les inspecteurs évidemment, mais aussi par les enseignants et leurs organisations, par les hiérarques de l’Education Nationale et par les politiques qui s’intéressent au fonctionnement du système éducatif.

Edité en septembre 1994 par le CCDP de la Marne
Lire notamment leurs interventions au colloque « L’inspecteur du 21ème siècle » sur le site Internet du SI-EN: HYPERLINK « http://www.unsa-education.org/sien/ » www.unsa-education.org/sien/ dans la rubrique « forums »
Editions Jacob Duvernet, avril 2003. Avec le soutien de la MGEN et de la CASDEN. Page 89.
La critique de la formation initiale actuelle, page 46, devrait interpeller les responsables… et intéresser les stagiaires. « A entendre les exaspérations des collègues en formation, l’expression de leur ennui, leur résistance… »
Page 185. Une année d’inspection: 112 inspections. 2 visites. 114 rapports. Bigre!!! Mais comment fait-il? 456 heures passées à inspecter. 105 000 mots, 660 000 signes écrits. Heureusement, il explique par ailleurs que fixer un quota d’inspections par an comme le font maints IG et DSDEN n’a pas de sens.
Note n°46, page 218
Il rejoint en cela Philippe MEIRIEU. Faire l’Ecole, faire la classe. ESF mars 2004. Page 118…. Sans modèle, même rustique, tout professionnel est aveugle… Un modèle professionnel, c’est une représentation, même sommaire, de la réalité sur laquelle on veut agir, de ses principales composantes, de son agencement interne et des entrées possibles qui permettent de le faire évoluer…A cet égard, tout enseignant dispose, le plus souvent à son insu, d’un modèle professionnel qui combine une représentation psychologique de ses élèves, une représentation historique et institutionnelle de ce que doit être une classe ainsi qu’une conception idéologique du rôle qu’un enseignant doit y tenir… Il est évident que l’entretien doit élucider ces modèles et que seul l’entretien peut le permettre.
« Pour une éthique de l’inspection » ESF Editeur. 1er trimestre 2000. Dominique SENORE qui pourrait publier un nouveau livre, attendu, sur la déontologie des inspecteurs.

Note de lecture de Pierre FRACKOWIAK

Jean-Pol ROCQUET.L’inspection pédagogique
aux risques de l’évaluation
. Edition L’Harmattan. 229 pages. 21,50 euros. En librairie début septembre.