Agitki de l’Ecole éducative

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Du samedi 11 octobre au dimanche 14 décembre, Exposition « Agitki de l’école éducative », au Musée Géo-Charles, 1 rue Géo-Charles, Echirolles (Grenoble) Du théâtre d’Agit-prop à l’installation, Christiane Tantôt Carlut et David Legrand revisitent l’enseignement avec pertes et fracas.

Christiane Tantôt Carlut et David Legrand proposent une forme tout à fait avant-gardiste d’une expression délaissée par la tendance : l’art engagé. Curieusement, ils redonnent un nouveau souffle au théâtre d’agit-prop, un genre très développé en Allemagne et en Russie à l’époque du combat pour une culture prolétarienne. Basé sur la déclamation publique, ce théâtre sans décor servit efficacement la propagande et la solidarité. Aujourd’hui, des acteurs en petits groupes se sont ainsi emparés de dialogues politiques sur l’enseignement donnant naissance à dix pièces dites d’Agitki, dans plusieurs lieux différents. Les pièces sont largement inspirées des textes (articles et livres) de Nico Hirtt.
Une fois montées, les pièces n’ont pas été jouées en public mais filmées, constituant ainsi le principal matériau artistique de l’installation. Scénographiées, ces vidéos seront diffusées dans un univers de son, de documents, d’images etc. Le Musée Géo-Charles se prépare à l’onde de choc…

Les 8 et 9 octobre, un char théâtral défilait dans la ville pour annoncer l’évènement. En amont, le montage théâtral avait fait appel à des intervenants échirollois. Huguette Morin, entraîneur à l’ALE Gymnastique a joué le rôle de conseillère en « poses et attitudes gymniques de l’époque », justesse historique oblige… Yves Prayer, metteur en scène du TRIdimensionnel s’est aussi investi dans la mise en scène des petites formes théâtrales.

A titre d’exemple, voici le texte d’une des pièces :

———-

Truc en un acte

(Petite pièce de remarques variées sur la décentralisation)
(D’après, très après, V. V. Maïakovski et plus récemment, Nico Hirtt)

Les textes sont lus : soit les acteurs les tiennent dans leurs mains, les lisent sur des écriteaux, etc etc…

Personnages

1) La Colporteuse, en bas de la scène, la commente et la critique
2) Le Premier (Béni oui-oui)
3) La Seconde (Béni oui-oui)
4) L’ERT (European Round Table)
5) Le Belge

(Au pied de la scène du auvent, La Colporteuse)

La Colporteuse.-

« Truc en un acte » ! Pièce de remarques variées sur la décentralisation ! Pièce archi-intéressante ! Instructive en diable ! Jamais vu représentation plus variée. A l’instant des fêtes bourgeoises on vous emmène à l’art de fêter la décentralisation. Je suis d’humeur si printanière que j’embrasserais le Ferry et son Raffarin réunis !

Voix off.- Eh ! Faut pas exagérer quand même !!!

(Le rideau s’écarte. Apparaît Le Premier Béni-oui-oui)

Le Premier. – Si-ou plaît ! Si-ou plaît
Ferry est ressuscité !

(Le rideau s’écarte encore. Apparaît La Seconde Béni-oui-oui)

La Seconde.- En vérité, ressuscité !

Le Premier.- Extrait in extremis de son bourbier politique par le Père
Fouettard.

La Seconde. – Fêtons donc l’école de Ferry,
Grand-père et petit enfant grandi.
Parlons sapins, parlons babioles,
Parlons rosettes et jolies robes
Que les chers chérubins,
Que les gentils baboins frisés,
Arborent tous les matins
Dans leurs jolies écoles dorées.
Et maintenant Taïaut !
Crachons en l’air
Pissons dans les violons,
Et fêtons la décentralisation !

Le Premier.- Prenez place
Selon l’usage bourgeois
Ainsi Messieurs, ainsi Mesdames,
Le mouvement de décentralisation
N’est pas propre à la France.
Tout le monde s’y colle,
Pour des raisons variées.
La France au nom de la lutte
Contre l’échec scolaire,

La Seconde.- La Belgique au nom de l’autonomie
Linguistique.

Le Premier.- Les Pays bas pour la « proximité humaine » !

La Seconde.- L’Allemagne et l’Angleterre, en faveur des
« Standards de qualité » !

La Colporteuse. –
La politique est commune, l’argumentaire est divergent ! Qu’est-ce qu’y a là-dessous, je te vous le demande…

(Le Premier apporte un petit sapin en papier et La Seconde des paquets cadeaux)

Le Premier.- On apporte le sapin et les
Babioles de la fête.
Et les cadeaux.
Parlons Nativité !
Nativité de la …

(La Seconde, et des larrons dans le public)

Les Autres.- DÉ-CEN-TRA-LI-SA-TION !!!

(Le Premier, s’adressant au public)

Le Premier Bonjour mes diablotins,
Bonjour mes chérubins.
Je vous ai apporté des cadeaux.
Z’avez été saaages ?

(La Seconde, lance les paquets au public. Les paquets sont marqués : DÉ-CEN-TRA-LI-SA-TION)

La Seconde.- Et voici ! Et voilà !
Alors les loupiots ?
Z’êtes contents ?

(L’ERT entre en tirant La Secondeviolemment en arrière)

L’ERT.- Z’avez intérêt, d’êt’ contents !
Non mais !!! Avec tout c’qu’on fait pour vous !
L’école est dominée par des pratiques
administratives trop rigides pour permettre
aux établissements d’enseignement
de s’adapter aux indispensables changements
requis par le rapide développement
des technologiesmodernes et les restructurations
industrielles et tertiaires, d’abord !!!

La Colporteuse. –
Ah, ah, la voilà celle-là ! Je vous présente l’ERT ! E. R. T. : European Round Table ou Table Ronde Européenne des Industriels. Elle a été fondée en 1983 par une quarantaine de grands patrons européens dans le but secret, mais avoué, de devenir le principal centre de décision du continent européen. Aux Etats-Unis et au Japon, des groupes analogues se sont mis en place en même temps et dans le même but. Les grandes organisations internationales publiques et les organisations privées se sont vite organisées pour piller le monde au seul profit des plus riches… et au profit de leurs Etats respectifs. Rien de plus logique, puisque ces organisations ont été mises sur pied par les mêmes personnes mues par les mêmes objectifs. Les riches ont en effet besoin d’un Etat pour faire la guerre dans leur intérêt. Pour collecter l’impôt et percevoir les taxes à leur profit. Pour réprimer les révoltes que provoquent leurs exactions. Pour édicter leurs lois. Pour répandre leurs mensonges et leur propagande qu’ils appellent «information*». On l’ignore, ces organisations élaborent de véritables plans de bataille pour renforcer et enrichir plus encore la classe des riches. Ainsi, à l’abri des murs de leurs bureaux ou de leurs salons, elles ont élaboré les plans de privatisation* qui leur ont déjà permis de mettre la main sur des milliers d’usines et de services publics, précipitant des peuples entiers dans la misère et le chômage. Mais les riches en veulent plus. Plus encore. Et c’est la raison pour laquelle ils veulent s’en prendre aujourd’hui à l’enseignement. Ils veulent détruire l’enseignement public et imposer l’enseignement privé. Un· enseignement-marchandise qu’ils puissent vendre. Dans le monde entier. C’est que les riches veulent devenir plus riches encore et leurs armes sont, entre autres, des organisations telles que l’OMC, l’OCDE, le FMI et la Commission des Communautés européennes.

L’ERT. – Et puis aussi, les écoles sont intégrées
Dans un système public centralisé,
Géré par une bureaucratie
Qui ralentit leur évolution !
Ou encore les rend imperméables
Aux demandes de changement
Emanant de l’extérieur !!!
Privatisons, messieurs,
Privatisons. Moins d’état,
Moins de frein vers le profit.
Heuh, je veux dire…
De la liberté pour l’école !
(plus bas)
Et du pognon dans nos poches !

(Le Premier et La Seconde reprennent en chœur)

Le Premier et La Seconde.-
De la liberté pour l’école !
Du profit dans nos poches !

L’ERT.- Oui, de la liberté, quoi !….
De l’adaptabilité, de la flexibilité…

Le Premier et La Seconde.-
De la liberté ! De l’adaptabilité!
De la flexibilité ! De la rentabilité
De la profitabilité ! De la pognabilité !
De l’intérêbilité ! De la chosabilité..

L’ERT.- Ca suffit maintenant,
Laissez-moi parler

La Colporteuse.-
Je vous explique : l’environnement économique qui s’est mis en place dans les années 80 et 90 est caractérisé par une très forte instabilité, un rythme élevé de mutations industrielles et technologiques, une réduction constante de l’horizon de prévisibilité économique. Ceci exige, tant de la part du système d’enseignement, que de ses « produits » – les futurs travailleurs et consommateurs -, un haut degré d’adaptabilité. Ainsi, Le Premier grand moteur des mouvements de décentralisation de l’école en Europe, est cette volonté commune de se doter d’un système d’enseignement plus flexible qui, par son autonomie et par le jeu de la concurrence, tendra à s’adapter plus rapidement et plus spontanément aux besoins changeants de la production et des marchés.

L’ERT.- Bon, voilà ce qu’il faut faire,
Ecoutez bien !
Il faut augmenter la capacité d’adéquation
de l’école aux besoins économiques
Il faut réorganiser l’enseignement supérieur
en Hautes écoles autonomes et concurrentielles,
Créer des commissions de programmes
à participation patronale pour l’enseignement
technique et professionnel,
réformer les programmes du primaire et du secondaire
En remplaçant les savoirs
par des compétences instrumentales,
autonomiser les établissements d’enseignement
à tous niveaux, etc.
Voilà ce qu’il faut faire !!!

Le Premier.- Et diminuer les budgets d’enseignement !

La Seconde.- Ou tout au moins en freiner la croissance !

La Colporteuse.-
L’exacerbation des luttes concurrentielles impose une spirale de «défiscalisation compétitive » et réduit ainsi les marges de manoeuvre budgétaires des Etats. Là encore, la décentralisation de l’enseignement est utile puisqu’elle permet réaliser plus facilement des économies. Non qu’une vingtaine de petites administrations seraient moins onéreuses qu’une grande. Mais il est assurément plus facile d’imposer des mesures de restriction à l’échelon local qu’à l’échelon national : on peut mieux les cibler et on évite les grands mouvements de résistance.

L’ERT.- Flexibiliser le système.
La rationnaliser !

Le Premier.- La régionalisation, la décentralisation
Sont une nécessité.
Le centralisme de notre pays coûte cher.

La Seconde.- Et nous devons répondre
A des attentes nouvelles
qui ne peuvent être prises en compte
qu’à l’échelon local »

Le Premier.- Ah bon ?
Lesquelles ?

La Seconde.- Et bien, euh, et bien…
Et vous là, l’ERT,
Lesquelles, on vous d’mande ?

L’ERT.- Et bien euh,
Et bien…
Eh vous là, le souffleur
On vous d’mande lesquelles ?

Le Souffleur.- Ah ben moi j’sais pas !
On m’a pas dit…

La Colporteuse.-
Les attentes nouvelles, elles viennent des entreprises. Partenariat, échanges etc. On vend des ordinateurs, des logiciels, des savoirs, on veut développer des compétences et des attitudes qui importent à « l’employabilité » des jeunes. Vous voyez ? Anne-Marie Comparini, présidente de la région Rhône-Alpes, se dit « favorable à un transfert complet et sans restrictions de compétences qui sont aujourd’hui du domaine de l’Etat (…) en transférant les moyens financiers et les ressources humaines ». Venant de la présidente de la troisième plus riche région de France (en PIB par habitant, après l’Ile de France et l’Alsace) ces propos ne sont pas vraiment étonnants. Car le transfert de moyens financiers qu’elle propose entraînera inévitablement un accroissement des inégalités entre régions.

Le Belge.- la Belgique en a fait l’amère expérience.
Les deux communautés linguistiques
reçoivent des budgets équivalents
(en fonction du nombre d’élèves)
et les deux ont souffert des réductions
de moyens consécutifs à la décentralisation.
Mais pas de manière égale :
la Flandre, plus riche, a pu compenser des pertes
grâce à sa fiscalité propre
et aujourd’hui l’enseignement francophone
accuse, dans tous les domaines,
un retard par rapport à l’enseignement flamand.

Le Premier.- Ah bon ?

La Seconde.- c’est vrai ?

La Colporteuse.-
Mais oui c’est vrai ! L’enquête PISA de l’OCDE, a démontré que l’inégalité ne grandit pas seulement entre les deux régions. Elle croît également à l’intérieur de chacune d’elles. C’est là le résultat, entre autres choses, des politiques dérégulatrices dont l’autonomie accrue permet d’accélérer la mise en œuvre.

(Quand elle ne parle pas, l’ERT reste figée dans une posture très rigide)

Le Premier.- Mais ce danger de voir grandir
la fracture sociale à l’école
Va susciter la mobilisation des gouvernants ?

La Seconde.- Après tout, en bonne logique de soutien
à la compétition économique,
y’a intérêt à instruire le plus possible
les citoyens-producteurs !

L’ERT.- Détrompez-vous mes p’tits Cocos !
Le marché du travail créé
25 % d’emplois pour
les diplômés d’université,
mais 65% des entreprises
ne réclament que des travailleurs non qualifiés
Ca rend un peu moins urgente,
voire obsolète,
la démocratisation de l’enseignement…

Le Premier.- Ah bon ?

La Seconde.- Ah bon ?

(L’ERT, les imitant en se moquant d’eux)

L’ERT.- Ah bon ? Ah bon ? Mais oui, imbéciles !
Qu’est-ce que vous croyez ?

(Le Premier et La Seconde, en chœur)

Le Premier et La Seconde.-
Ah bon ???

La Colporteuse.-
L’augmentation des inégalités sociales dans et devant l’école n’est pas une, je cite, « déplorable conséquence secondaire » du mouvement de décentralisation, mais elle constitue le troisième volet de la mise en adéquation des systèmes éducatifs avec les « exigences » de la très mal nommée « société de la connaissance ».

(L’ERT les regarde, hausse les épaules, et sort dans une attitude méprisante. Le Premier et La Secondele regardent sortir, mé&dusés, puis Le Premier sort de sa torpeur.)

Le Premier.- Et le sapin ?
On a complètement oublié le sapin !!!

(La Seconde, en prenant le sapin et en le jetant par-dessus bord)

La Seconde.- On s’en fout du sapin !
On le bouffera demain !
Allez viens !
On verra tout ça demain…

(La Seconde sort, suivi par Le Premier)

La Colporteuse.-
En France comme ailleurs, les débat sur des questions aussi importantes que la décentralisation, l’autonomie des écoles, l’innovation pédagogique ou l’utilisation didactique des technologies de l’information et de la communication sont fondamentalement viciés. Il est impossible de les trancher sans prendre en compte le puissant contexte global, qui est fait de dérégulation, de dualisation sociale, de réduction des budgets et de pressions allant dans le sens de l’instrumentalisation économique de l’école. C’est ce contexte qui permet de comprendre pourquoi la décentralisation – qu’elle ait lieu en France ou ailleurs, qu’elle soit le fait d’un ministre de gauche ou de droite – doit nécessairement aller dans le sens d’une perte de qualité de l’école publique et, à terme, d’une marchandisation du système éducatif. Mesdames, messieurs, sur ce, je vous salue !

(La Colporteuse salue, monte sur la scène et referme soigneusement le rideau. Les acteurs viennent saluer en bas de la scène)

Fin

Du fait des impératifs temporels de l’édition, l’université du cartable ne saurait garantir l’exactitude de tous faits contenus dans cette pièce (en particulier, celui concernant « Ferry ressuscité »), écrite en juillet 2003. La rentrée conserva-t-elle son ministère à Monsieur Ferry, rien n’est moins sûr ! Le cas échéant, la pièce sera jouée telle quelle, dans le cas contraire, et bien on ré-écrira la pièce. Par contre, l’université du cartable peut garantir préliminairement tous les autres faits rapportés, qui eux, ne sauraient (malheureusement) être modifiés à court terme.