Une princesse contrainte au « second choix »

Facebooktwittermail

A quelques jours de la rentrée scolaire, la presse du Royaume se fait l’écho d’une nouvelle de la plus haute utilité publique : la princesse Eléonore de Belgique, plus jeune enfant du couple royal, qui vient de terminer ses primaires, ne pourra poursuivre sa scolarité dans la même école. En cause, le critère géographique qui permet de départager les demandes d’inscription surnuméraires dans ce collège bruxellois huppé[1]: l’établissement fréquenté par la princesse est en effet trop éloigné du château de Laeken pour qu’Eléonore figure parmi les élèves prioritaires et obtienne le précieux sésame… Dès le 1er septembre, la princesse fréquentera donc un autre collège très bien coté, situé à plus de 20 km du logis familial, mais au sein duquel il restait encore quelques places disponibles.

Nulle intention ici de railler la mésaventure de la famille royale… Cette actualité « people » est plutôt l’occasion d’illustrer les conséquences fâcheuses du quasi-marché scolaire, que l’Aped pointe du doigt depuis de nombreuses années. Au départ, il y a ce choix de l’école qui est imposé aux parents, et qui aboutit à une forte ségrégation scolaire[2], c’est-à-dire à une forte proportion d’ « écoles-ghettos », les unes concentrant les « riches », les autres rassemblant les « pauvres ». Dans ce paysage d’écoles très inégales, les parents-stratèges sont donc contraints de se livrer une compétition pour dénicher la « meilleure école » possible, quitte à allonger très sensiblement la distance entre le domicile et l’établissement scolaire. Souvent, leur choix se portera sur une école à la composition sociale avantageuse, qui augure d’un haut niveau académique et entre donc en résonance avec les ambitions scolaires élevées — et tout à fait légitimes — de ces parents. A ce jeu-là, les parents-initiés sont mieux armés que d’autres, et obtiennent les places les plus enviables, notamment parce qu’ils excellent à identifier les « écoles d’élite ». Cette lutte des places entretient donc la ségrégation scolaire, et contribue ainsi massivement aux fortes inégalités scolaires qui caractérisent nos systèmes éducatifs francophone et néerlandophone.[3]

Certes, depuis quelques années, une légère régulation des inscriptions a été mise en place en Fédération Wallonie-Bruxelles. Celle-ci présente l’avantage de fixer des critères objectifs pour déterminer qui seront les heureux élus, lorsqu’une école reçoit davantage de demandes d’inscriptions en 1ère secondaire qu’elle ne peut en satisfaire. Ce dispositif a mis fin, pour ces inscriptions-là, aux passe-droits dont jouissaient certains parents, dans certaines écoles. Mais le décret « Inscriptions » ne change quasiment rien à la ségrégation scolaire qui prévaut dans notre système scolaire. Si l’on veut construire un système scolaire qui allie ambition et équité, il importe pourtant d’instaurer une véritable mixité sociale et académique dans nos écoles. Comment faire ? La proposition de l’Aped consiste en ce que les pouvoirs publics proposent, dès le début de la scolarité, une école aux parents, en conciliant proximité géographique et mixité sociale, à l’aide d’un algorithme informatique. La simulation informatique de cette proposition dans le contexte bruxellois[4] démontre que l’on pourrait ainsi parvenir à la quasi-disparition des « écoles-ghettos » (et à la disparition complète des écoles-ghettos de pauvres), tout en réduisant la distance moyenne entre le domicile et l’école. Les parents pourraient refuser l’école proposée et se mettre à la recherche d’un autre établissement, dans lequel il resterait des places disponibles. Gageons toutefois que peu d’entre eux seraient enclins à le faire, puisque les compositions sociales des écoles auraient été homogénéisées, et que l’intérêt de ce « libre choix » aurait de ce fait largement disparu.

Pour offrir une « bonne école » à chaque élève, et pour épargner au couple royal comme aux autres parents une angoissante et funeste lutte des places dans laquelle il y a fatalement des perdants, il convient donc de réformer au plus vite le marché scolaire. Pas de chance, la Ministre de l’Enseignement vient justement d’annoncer le report de la nouvelle mouture du décret « Inscriptions » à septembre 2022. Les optimistes diront que cela laisse une année de plus pour parvenir enfin à une réforme structurelle véritablement génératrice de mixité et donc d’équité, qui contrasterait avec les aménagements superficiels mis en œuvre par les décrets précédents…

Notes:

  1. Précisons que la princesse Eléonore effectue sa scolarité dans l’enseignement néerlandophone et que son inscription n’est donc pas soumise aux modalités du décret du même nom. Cela dit, le critère géographique serait également intervenu dans le cadre d’une inscription dans un établissement régi par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
  2. La ségrégation résidentielle participe aussi de cette ségrégation scolaire, mais son effet est renforcé par le quasi-marché scolaire. Cf. Delvaux, B. & & Serhadlioglu, E. (2014). La ségrégation scolaire, reflet déformé de la ségrégation urbaine. Cahiers du Girsef, 100.
  3. Pour le lien entre ségrégation scolaire et inégalités scolaires, voir notre vidéo « L’école inégale au pays de Tintin »
  4. Hirtt, N. & Delvaux, B. (2017). Peut-on concilier proximité et mixité sociale ? Cahiers du Girsef, 107.